Après avoir sévi plusieurs années en tant qu’acteur (notamment dans certaines séries télé), Ruben Alves réalise son premier long-métrage, « La cage dorée », une comédie débridée, récemment récompensée au Festival d’Humour de l’Alpes d’Huez, qui se joue des clichés autour de l’immigration portugaise (sorti le 24 avril). Rencontre avec le réalisateur, Ruben Alves et son équipe de comédiens, Jacqueline Corado, Jean-Pierre Martins, Barbara Cabrita :

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Ruben Alves : Je suis un autodidacte : depuis tout petit je crée des histoires, je montais des spectacles dans la cour de l’école, je faisais des petits films l’été avec mon producteur et meilleur ami Hugo Gélin qui m’a aussi produit sur ce film avec Zazi film. C’est lui qui m’a proposé de raconter mon histoire. J’avais de la pudeur pour l’exprimer puis j’ai commencé à écrire sur mes racines, ma famille, mes parents ce qui m’a permis de rendre hommage à cette communauté portugaise dont je suis issu.

Vous jouez les clichés, la mère concierge, le père chef de chantier. N’était-ce pas un peu risqué ?
Ruben Alves : Non puisque c’est une réalité tout simplement. C’est la réalité de nos parents, de nos grands-parents qui sont venus dans les années 70 car ce n’était pas « des ambassadeurs » quand ils arrivaient, pour reprendre une phrase du film. Sur le papier cela peut faire un peu « cliché » car effectivement aujourd’hui, les Portugais font bien d’autres choses, j’en suis la preuve car je réalise même des films ! Mais c’est aussi une réalité et je me sers des clichés afin de m’en amuser dans le film.
Jacqueline Corado : Je rejoins ce que dit Ruben, car 90 % des immigrés étaient issus d’une immigration économique dans les années soixante – 70 et donc cela correspond à cette main-d’œuvre qui est arrivée comme les Italiens un peu plus tôt dans l’histoire ou celle des Polonais plus récemment. Maintenant, il faut voir que dans cette communauté qui répondait peut-être à « ce cliché », ce fut le cas de nos parents ou nos grands-parents, on voit aujourd’hui des médecins, des avocats, des acteurs, des réalisateurs.
Jean-Pierre Martins : C’est vrai que vu de l’extérieur c’est un cliché alors que pour nous c’est une réalité, c’est aussi notre vie. Quand j’ai lu le scénario, je me suis complètement retrouvé car mes parents s’appellent bien José et Maria. Mon père a travaillé sur des chantiers et ma mère a été femme de ménage donc, pour moi, c’est difficile de voir ça comme un cliché.

Le scénario du film
a-t-il été simple à écrire ?
Ruben Alves : Oui et non. Je l’ai écrit avec mon cœur, avec toute ma tendresse mais aussi avec toute mon envie. Mais ce fut aussi un peu délicat car justement je me suis dit « Attention, c’est une fiction et non pas la réalité ». Et puis je pense que nous tous, Jean-Pierre, Jacqueline ou bien Barbara, avons vécu des choses bien plus extrêmes qui ne seraient peut-être pas passées dans un film. Je pense que si j’avais mis ma vraie réalité, on ne parlerait pas de clichés !
Jacqueline Corado : Oui, tu es resté subtil et léger. Certaines scènes n’auraient pas été crédibles.
Une des clés, dans tout film humoristique, tient dans l’efficacité des dialogues et dans le comique de situation. Aviez-vous des modèles ?
Ruben Alves : Je n’ai pas vraiment de modèle. J’aime bien les comédies américaines assumées ! Dès l’instant où l’humour est assumé, j’adore. Je suis allé chercher une comédienne membres des Nuls, Chantal Lauby, ce n’est pas pour rien. Vous savez, j’ai grandi avec Le Splendid, Les Nuls, Les Inconnus et cet humour me plaît parce que tous ceux que j’ai cités le font avec une vérité à toute épreuve. J’aime aussi les comédies à l’italienne, mais aussi Almodovar, ce qui est sanguin et très humain.
Jacqueline Corado : A la lecture du scénario on sent tout de suite le regard plein d’humour qu’il a sur les Français et les Portugais. Il a complètement assumé son histoire et ses origines.

Vous qui avez débuté en tant qu’acteur, étiez-vous plus à l’écoute de vos propres acteurs ?
Ruben Alves : Oui forcément, je me suis souvent mis à leur place même parfois trop car je vivais tellement le film que je pouvais jouer chacun des personnages. J’avais une direction bien précise mais je pense leur avoir laissé la liberté de pouvoir s’exprimer.
Jean-Pierre Martins : Ruben est un metteur en scène qui sait exactement où il va mais qui aime bien se laisser surprendre quand même. Il a cette justesse, il regarde notre jeu et si celui-ci est juste.
Barbara Cabrita : Et puis il a cette liberté. Car il avait des personnages bien identifiés mais il a dû faire aussi avec nos personnalités. Alors par moments, nous le suivions et puis à d’autres moments, nous faisions ce que nous voulions.

Tous les immigrés rêvent d’un retour au pays que l’on sait pourtant hypothétique. En était-il de même dans votre famille ?
Ruben Alves : Je ne dirai pas « en était-il » mais plutôt « en est-il » au présent, car mes parents sont encore en France et ils se posent justement cette question car il y a les enfants, probablement les petits-enfants qui vont arriver. Je pense que pour les plus chanceux, il y a un partage qui peut se faire. Je ne sais pas si tous les immigrés rêvent de rentrer mais je pense qu’en tout immigré il y a cette chose forte qui est « le pays que l’on a quitté, la terre que l’on a laissée »
Jacqueline Corrado : D’ailleurs comme le dit Chantal Lauby dans le film, « on n’a pas besoin d’être immigré portugais pour avoir ce sentiment. Quand on part d’une ville pour aller travailler dans une autre il faut développer des liens, un réseau alors que l’on vient d’en laisser un là où l’on était ». Partir, c’est très difficile. J’utilise souvent la métaphore du papa et de la maman. À savoir que vous les aimez tous les deux très fort et qu’il faut savoir jongler avec les deux. Les Portugais en France ont tous le satellite, le câble, ils écoutent tous la chaîne portugaise RTP mais la première chose qu’ils font quand ils arrivent au Portugal c’est écouter France 2, TF1, Michel Drucker ou encore Claire Chazal. Ils aiment retrouver ces figures qu’ils connaissent, ils en ont besoin.

Vous avez tenu à diriger des acteurs portugais dont Joachim de Almeida, habitué aux productions hollywoodiennes. Une difficulté supplémentaire ?
Ruben Alves : Au départ, c’est vrai, j’ai eu la pression dans le sens où Joachim est habitué aux films américains qui sont très calibrés, dans un timing très précis. Et quand Joachim arrivait sur le plateau il fallait tourner et ne pas perdre de temps. Au-delà de cela, le film l’a touché car il est lui-même issu de l’immigration portugaise, il vit aux États-Unis depuis 37 ans. Mais sur le tournage, il était vraiment avec nous. Aussi bien par son savoir d’acteur que par son cœur. Ce qui était intéressant avec cet acteur, c’était de le prendre à contre-emploi de ce qu’il fait d’habitude aux États-Unis.
Barbara Cabrita : Il a une force dans le regard, dans le jeu. Qu’il soit dans le champ ou qu’il n’y soit pas, il renvoie quelque chose pendant la scène qui est d’une telle puissance que cela annule toutes les contraintes. Quand il a vu le film, il a pleuré.
Jacqueline Corado : Quand j’ai appris que Joachim acceptait de jouer un ouvrier portugais en France, je me suis dit quand les Portugais vont voir ça, ils vont se dire « Mais le scénario doit être dingue pour que la star hollywoodienne et portugaise accepte ce rôle-là ! ». Rien que ça, cela en dit déjà beaucoup sur la qualité du scénario.

Le film sera-t-il projeté au Portugal ?
Ruben Alves : Oui et il sortira le 1er août prochain ! Et nous avons fait une avant-première au Festival des Açores et le film a été très bien accueilli. Voir trop car cela m‘a dérouté ! Les gens rigolaient tellement lors de la projection que l’on n’entendait plus les dialogues !

Travaillez-vous sur un autre projet ?
Ruben Alves : Oui, je vais certainement recommencer cette véritable aventure qu’est la réalisation…