Porté par l’Espace Boris Vian, le projet « Porte-Voix » permettra à différents artistes stéphanois de travailler avec un public d’adolescents autour du Hip-Hop. Rencontre avec les différents intervenants de ce projet :

Comment est né le projet « Porte-voix » ?

Réponse de Philippe Chastel, directeur de l’Espace Boris Vian :

Depuis le début de l’année 2016, l’Espace Boris Vian a décidé de se donner un fil conducteur pour plusieurs de ses projets. Ce fil conducteur est la fraternité en réaction d’une part aux attentats qui ont eu lieu en France et d’autre part au climat que ceux-ci ont engendré. Il nous a semblé important de travailler en direction de la jeunesse autour de ce thème.

Réponse de Teqmick, du collectif musical stéphanois Prise II Conscience : Philippe Chastel m’avait déjà parlé il y a un an de son idée de rassembler des jeunes autour du thème de la fraternité. J’interviens déjà depuis quelques années à l’Espace Boris Vian autour du rap avec des jeunes de 8 à 14 ans. On s’est rencontré cet été pour en discuter. Le projet m’a parlé, j’ai répondu présent !

Réponse de Faël, chanteur et technicien de la voix : Grâce à l’Espace Boris Vian géré par Philippe Chastel et la collaboration de 3 artistes locaux Carlo Bondi (auteur-compositeur et interprète), Mickaël alias TecMick (collectif Prise 2 Conscience P2C) et Faël (chanteur et professeur de chant).

Réponse de Carlo Bondi, comédien, auteur, interprète et musicien : Philippe m’a appelé pour participer à ce projet qui vient de lui, je crois. La première fois qu’il m’en a parlé nous étions à une manif place Marengo…

Quels sont les objectifs de ce projet ?

Ph. Chastel : Réunir des artistes et des jeunes de la Loire autour d’un grand projet de création. Ce ne sont pas des ateliers ni des cours mais bel et bien un projet commun à des professionnels et à des amateurs. L’idée est de partir de l’expression des jeunes sur la signification du mot « fraternité » et de les amener progressivement dans un processus d’écriture de chansons sur ce thème. Le choix des artistes était volontaire pour croiser des univers différents autour d’une envie commune.

Teqmick : Nos échanges lors de notre rencontre cet été ont précisé la manière dont on allait intervenir. On a convenu qu’on devait plonger les participants dans un univers de création, dans des conditions réelles de production artistique. Cela allait permettre aux jeunes de se frotter au plaisir de fréquenter des lieux comme Le Fil avec des équipements professionnels, d’être accompagnés par des intervenants professionnels dans des disciplines diverses, de mener un projet de bout en bout (de la réflexion autour du thème à l’enregistrement, la prestation scénique…) mais aussi découvrir que ce n’est pas toujours évident non plus. La fraternité est un mot sur lequel on se doit de poser des actes, des attitudes, qu’on doit « dé-vulgariser » quelque part. Pour le reste, les messages, les valeurs qu’on veut transmettre… Je pense qu’il faut vivre les choses plutôt qu’en parler.

Faël : Écrire, composer et mettre debout des chansons, fruits de l’inspiration des jeunes sur le thème de la fraternité, enregistrer en studio et les amener (les jeunes) à se produire sur scène.

Carlo Bondi : Il s’agit je crois de faire se rencontrer plusieurs personnes qui je l’espère viendront d’univers différents. Écrire avec eux plusieurs textes sur la fraternité. Leur demander ce qu’est pour eux la fraternité. Qu’ils puissent ensuite s’exprimer sur ce sujet et réfléchir ensemble, s’aider pour écrire, pour trouver les idées. C’est aussi faire se croiser plusieurs modes d’expression, textes poétiques, rap, slam… Rencontrer la difficulté d’écrire un texte comme la facilité d’enregistrer un Cd et aller jusqu’au concert. Ce travail s’effectuera sur la durée, cela nous permettra également aussi de mieux nous connaître les uns les autres. Ce sera la première fois que je travaillerai avec des jeunes de cet âge. J’ai beaucoup écrit avec des enfants des écoles primaires donc c’est un vrai plaisir pour moi de travailler sur ce projet.

En quoi les pratiques urbaines comme le Slam ou le Rap permettent-elles une libération de la parole des jeunes ?

Teqmick : Ce n’est pas propre au rap ou au slam, ni même à la jeunesse. N’importe quelle forme d’expression permet une libération de la parole. Je schématise souvent en disant qu’écrire c’est « discuter avec soi-même ». Malheureusement, nous ne prenons plus trop de temps pour parler avec des personnes autres que notre entourage. L’artistique permet d’apporter un peu de soi, s’affirmer aux oreilles et aux yeux des autres, faire des rencontres comme ici, élargir son champ de vison… Et ça fait du bien de nos jours !

Faël : Ces pratiques permettent d’aborder de sujets multiples, tout en créant une réelle cogite (analyse du sujet) et rétablir une relation pensée-mot, posée sur papier. Les jeunes dans leur transformation physique et avec leur charge émotionnelle arrivent alors à s’ouvrir car ils ont pris conscience qu’un atelier slam ou rap devient leur espace ; qu’ils peuvent se livrer sans jugement extérieur.

Carlo Bondi : Le slam et le rap sont des langages que les jeunes de 14 à 18 ans ont l’habitude d’écouter, c’est aussi une façon de s’exprimer qui peut paraître plus facile pour eux, et c’est un mode d’expression qui va droit où il doit aller. Pour ma part, je vais essayer de leur faire travailler des images poétiques, de faire se croiser le rap avec un autre univers plus poétique. C’est une expérience que nous allons vivre ensemble, nous les encadreurs et eux les jeunes gens. Nous allons nous aider, il n’y aura pas de professeurs et des élèves, il y aura un groupe qui travaillera ensemble sur un même thème. Je voulais aussi parler d’artiste je ne sais pas si on doit leur dire que ce sont des artistes mais peut être que parmi ces jeunes, il y en aura un ou une qui aura envie de continuer l’écriture de chansons, de textes, de livres et cette personne deviendra alors un ou une artiste. Il faut faire attention avec ce mot, à la télé, par exemple, ils sont tous des artistes !

Comprenez-vous le dédain d’une certaine élite concernant le Rap ou le Slam ?

Teqmick : C’est souvent réciproque ! Plus sérieusement, je ne peux que comprendre vu qu’il m’arrive moi-même ce sentiment… Mais ce dédain vient, en général, d’un manque de curiosité ou de culture générale. J’ai grandi avec une certaine image du rap qui correspondait à mon ressenti, mon quotidien. Ce qui est diffusé largement aujourd’hui me correspond moins, je dois le reconnaître… On est souvent soit dans le divertissement sans fond, soit dans la caricature « street rap ». Mais heureusement, en fouillant un peu, il y a des choses vraiment bien. Il faut savoir cibler les causes de ce qui nous dérange. On ne juge pas une bibliothèque à la préface d’un des livres qu’elle possède.

Faël : Malheureusement, le rap a subi une surexposition, basée sur de nombreux clichés comme le sexisme, la vie de gangster (plus tu vas en taule, plus tu te fais respecter !), la violence verbale, et l’écriture facile (j’entends par là, excuser une forme d’écriture à l’arrache)… Quant au slam, popularisé notamment par l’artiste Grand Corps Malade, il a permis d’élargir les sujets traités et d’amener une poétique d’un mot et de diversifier les supports musicaux qui accompagnaient l’interprète (slamer sur du jazz, un piano voix, un univers rock….). Le Hip-Hop unit ces univers qui comme tout mouvement a des codes bien précis : la musique assistée par ordinateur, le Beat Boxing (percussion avec la bouche et effets de voix), la danse dite urbaine…. Des codes qui sont pourtant considérés non musicaux pour une certaine élite, ou pas assez intellectuels sur le travail d’écriture (sur le fond notamment). Le dédain de cette élite peut se comprendre car moi-même j’ai énormément du mal avec le hard rock ou et les codes qu’impliquent ces courants musicaux.

Carlo Bondi : Oui je peux comprendre que certaines personnes ne soient pas touchées par ce mode d’expression. Chaque génération a son monde, il y a eu le rock, le disco, le punk, le rap est une façon d’exprimer ses désaccords, ses rêves, une poésie contemporaine. Mais il y aura toujours le conflit de générations et c’est bon car cela signifie que nous sommes en vie…

Concrètement, comment cela va se passer ?

Teqmick : Nous allons nous rencontrer une à deux fois le 3 décembre 2016 et si nécessaire en janvier 2017 afin de faire connaissance avec les participants, discuter du projet, commencer à libérer les idées, les paroles et les premiers écrits. Nous nous verrons ensuite dans les locaux du Fil à Saint-Étienne sur deux semaines entières, une pendant les vacances de février et une pendant les vacances d’avril ou nous allons travailler et mettre en place tout ce qui aura déjà été fait auparavant afin d’aboutir à l’enregistrement d’un CD de plusieurs titres et travailler sur une représentation live.

Ce projet a-t-il vocation à être pérennisé ?

Réponse Ph. Chastel : On verra bien. Souvent nous avons eu des projets avec des jeunes qui avaient pour vocation de s’achever à une date précise mais sous l’impulsion de ces mêmes jeunes le projet s’est poursuivi durant 3 ou 4 ans.

Réponse Teqmick : Je pense que tout dépendra de la ferveur des participants mais il pourrait l’être c’est sûr !