Après avoir accompagné Jean Dasté au milieu des années 60, Maurice Galland, homme de théâtre résolument « libre », est revenu s’installer sur ses terres d’origine en imaginant un lieu unique en son genre, le Théâtre Libre, à deux pas de l’université Jean Monnet. Rencontre :

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Formé au théâtre par Jean Dasté à la Comédie de Saint-Étienne, j’ai très vite abandonné l’idée d’être comédien pour me consacrer à l’art de la mise en scène. Avec ma compagne Ghislaine Ducerf, en 1972, je décide de quitter Saint-Étienne. Notre parcours s’apparente alors à un long apprentissage de plus de 25 ans, traversant un grand nombre de milieux artistiques et sociaux. J’ai occupé tour à tour dans le cinéma les postes d’assistant décorateur, ensemblier, puis directeur technique au Centre Dramatique – Théâtre du Campagnol à Châtenay-Malabry. J’ai également occupé le poste de médiateur technique et/ou artistique pour des constructions ou requalification de théâtres (CDN de Corbeil Essonne, l’Hippodrome de Douai, le Théâtre des Salins à Martigues, etc.) J’ai également assuré la mise en œuvre et la totalité de l’équipement du Sfumato Théâtre à Sofia. En novembre 1998, à Paris depuis près de 20 ans, nous décidons de créer le Théâtre Libre. En mai 1999, nous nous installons à Saint-Étienne, et en 2006, après notre expropriation consécutive à la construction du Zénith, nous découvrons notre lieu actuel, où je deviens directeur artistique en charge des créations, de la programmation et de la diffusion de spectacles. Ghislaine, quant à elle, fonde l’atelier de costumes.

Pourquoi ce retour à Saint-Étienne ?
Après ce long parcours initiatique et formateur, j’avais à cœur de fonder mon théâtre dans la droite ligne de mon maître spirituel Jean Dasté et de poursuivre la mission d’un théâtre résistant.

Qu’est-ce qu’un Théâtre Libre ?
À partir d’un lieu de créations, d’accueil, de coproductions et de débats, nous élaborons avec notre public un lieu de résistance dans l’esprit de ceux qui pendant la guerre de 1939-1945 ont pensé que la culture, notamment le théâtre décentralisé, était indispensable pour rétablir les forces et le moral de la France. Nous avons choisi ce titre de Théâtre Libre d’une part, en souvenir d’André Antoine fondateur du premier Théâtre Libre à Paris, qui, à la fin du XIXe siècle a révolutionné l’art théâtral, et d’autre part, pour vivre notre définition de la liberté : « l’art de choisir ses contraintes ».

Quel genre de théâtre ne serait pas libre ?
Grâce à André Malraux, l’exception culturelle est une très forte réalité : les artistes sont pour l’état un contre-pouvoir. L’État français a mis en place un système de soutien à ce contre-pouvoir. Mais la nature humaine est faite de telle sorte, que, quand on est trop bien « nourri » et si l’on n’est pas extrêmement vigilant et exigeant, on devient vite dépendant de cette aisance ! La liberté c’est donc l’art de choisir ses contraintes et donc de multiplier ses partenaires sans être dépendants d’aucun.

Le théâtre se conjugue-t-il obligatoirement avec l’errance ou le départ ?
À mon sens, un metteur en scène se doit d’être un aventurier, un connaisseur d’hommes et un amoureux de la vie. Par contre le théâtre a besoin de lieux pour s’exprimer, un lieu où l’imagination, la curiosité et la liberté de penser sont offertes sans retenue au public.

Quels sont les axes de programmation du Théâtre Libre ?
Toutes les formes d’art, de recherche, de discussion, d’imaginaire sont nos armes. Nous recherchons donc à programmer aussi bien nos créations que nos accueils d’événements qui favorisent l’éveil de l’esprit, l’appétit de curiosité et la nécessité de la réflexion à avoir sur notre monde. Chaque fois que l’humour pourra s’insérer dans nos thèmes, il y sera !

Le Théâtre Libre présente également un atelier de costumes et un fond impressionnant…?
Certes, depuis toutes ces années, Ghislaine a recueilli, conservé et restauré plus de 5 000 costumes et des dizaines de milliers d’accessoires allant du Moyen-Âge à nos jours. Formée par un des plus grands ateliers de costumes à Paris, forte d’une expérience riche et variée à l’opéra, au théâtre, au cinéma, à la télévision, acquise dans des lieux prestigieux (Festival d’Aix en Provence, Comédie des Champs-Élysées, Folies Bergères, etc.) comme dans des compagnies plus modestes, elle est aujourd’hui à la tête d’un des rares ateliers capable de répondre à toute demande de création, de réalisation, de restauration et aussi de formation.

La volonté du Théâtre Libre est de s’inscrire dans le cadre d’une économie sociale et solidaire ; concrètement, ça se passe comment ?
C’est une découverte récente pour nous que celle de l’ESS bien que nous la pratiquions à notre manière depuis fort longtemps. La solidarité est une pratique presque obligatoire pour des artistes du spectacle vivant bien que souvent mouvementée. La partie sociale de l’économie est un enrichissement incontestable pour le théâtre qui développe son obligation de s’ouvrir aux autres et de s’allier à des partenaires d’horizons variés voire même très éloignés du domaine artistique. En tant que membre du Conseil d’Administration de la NACRE (Nouvelle agence culturelle régionale de Rhône-Alpes), adhérent à la ligue de l’enseignement et de l’ESS, nous sommes amenés à avoir de nombreux contacts et échanges qui doivent conduire à la création d’un nouveau chemin où la culture et l’ESS pourront faire œuvre commune et, je l’espère, faire preuve d’innovation.

Qui vous soutient financièrement ?
La réponse est rapide ! Du côté des pouvoirs publics, seule la ville de Saint-Étienne, jusqu’à présent nous alloue 2 subventions : une de 3 000 € pour la création et une de 5 000 € pour le fonctionnement. Le mécénat d’entreprises et de particuliers nous apporte à peu près 13 000 € par an. Et cette année, la Région, pour la première fois, nous a alloué 750 € pour un projet de costumes dans le cadre de la démocratie participative. Le reste est essentiellement constitué de recettes propres.

Vous êtes installé rue Désiré Claude depuis 2006. Quel bilan faites-vous de votre expérience ?
C’est un bilan extrêmement positif quand nous voyons de saison en saison un public fidèle se constituer, que nous pouvons chiffrer à 650 personnes actuellement. Notre perspective de développement sur le plan local, national et international est encourageante et multiple aussi bien pour les activités théâtrales que pour l’atelier de costumes.

Regrettez-vous d’avoir été exproprié lors de la création du Zénith ?
Certes non puisque nous avons trouvé ce magnifique lieu !

Le théâtre a-t-il réussi à attirer de nouveaux publics ?
Oui, depuis l’an passé, nous accueillons notamment des scolaires et grâce au soutien de la Ligue de l’enseignement nous allons développer cet axe de public, par exemple en réalisant un échange de jeunes scolaires avec la Pologne autour du thème « Pour vous, qu’est-ce que la démocratie ? », mais aussi, avec la mise en place du Plan Jeunes pour le Conseil Général de la Loire et une collaboration avec les Lycées Louis le Grand, Fénelon et Henri IV à Paris ainsi que les rectorats d’Île de France. Je devrais aussi créer prochainement un spectacle réunissant des jeunes de 15 à 30 ans dans le cadre d’un projet CUCS. Enfin nous développons activement nos relations avec le Quartier 5 de Saint-Étienne qui est notre quartier avec l’Association des Amis de Ferdinand.

Pensez-vous que les jeunes générations auront encore envie d’aller au théâtre ?
Cela ne fait aucun doute pour moi à condition qu’ils soient des participants actifs et non de simples consommateurs de culture.

Quels sont vos projets pour la saison prochaine ?
Depuis quelque temps notre plaquette est sortie. Nous vous invitons à la consulter sur notre site (www.theatrelibre.fr) : il y aura cette année et comme chaque année du théâtre, des chanteurs, des conférenciers mais aussi de la danse, du lyrique et du théâtre d’improvisation avec quelques surprises à la clé !

Le théâtre se porte-t-il bien à Saint-Étienne ?
Étant immergé dans ce monde-là, je suis mal placé pour répondre à la question ! En tout cas, il est extrêmement riche et varié (ce qui est une fierté pour la ville) mais souffre sans doute un peu plus qu’ailleurs d’un manque récurrent de moyens et qui, de surcroît, s’aggrave. Pour un pays comme le nôtre, il est inacceptable qu’au nom de la crise on puisse encore réduire le budget de la culture qui ne représente même plus 1 % du PIB. Faut-il penser qu’elle continue à faire si peur aux dirigeants ?

Au secours Monsieur Dasté, au secours Monsieur Malraux, au secours Madame Filipetti !!!