Sans doute très peu de Stéphanois connaissent Martin Nathan, cofondateur de Brain Damage. Ce groupe créé à Saint-Étienne est, et ce depuis le début de ce nouveau siècle, l’une des formations les plus excitantes de la musique Dub en France. Rencontre :

Quel est votre parcours musical ?

Tout d’abord, quelques années de formation classique au conservatoire, puis, de façon autodidacte, la pratique de nombreux instruments au sein notamment de groupes locaux, évoluant dans le florissant milieu associatif stéphanois des années 90… On était alors loin des univers que je développe maintenant, mais une part de l’esprit général était déjà là.

Depuis près de 20 ans, vous représentez avec une poignée d’autres formations le Dub made in France… Avec le recul, quel regard portez-vous sur votre aventure ?

13 albums ! Environ 700 concerts ! Il s’est passé tellement de choses… des projets, des rencontres, des joies, des déceptions aussi parfois bien sûr. Mais l’ensemble est plus que positif. Je fais le métier que j’ai toujours voulu faire. Sans vague. Le temps passe c’est sûr. Je fais déjà figure d’ancien pour certains. De nombreux artistes des générations suivantes se réclament maintenant de mon héritage ! Gratifiant et flippant à la fois…

Depuis quelques années déjà, le duo est devenu solo… Qu’est-ce que cela a changé dans votre fonctionnement ?

Le fait d’être seul donne un caractère plus que jamais polymorphe au projet et me permet plus facilement de multiplier les collaborations ponctuelles. J’adore ça. On se lie avec d’autres artistes le temps d’un album, d’une tournée, puis chacun reprend sa route.

Lorsqu’on écoute Brain Damage, on est rapidement étonné par la complexité et la densité des compositions… Comment travaillez-vous concrètement ?

J’y passe tout simplement des heures, des jours, des mois… je fais, je refais, et enfin, je recommence… J’ai la chance d’avoir un espace à moi dans lequel je peux travailler sereinement, sans être dérangé. A priori, je fais tout moi-même : composition, enregistrement, mixage, etc. J’avoue que ça me rend un peu dingue parfois…

La Jamaïque constitue-t-elle toujours un point de passage obligé concernant la musique Dub ?

Pas forcément. J’ai eu la chance de m’y rendre et de travailler dans un studio mythique, avec des légendes telles qu’Horace Andy ou Willi Williams, mais c’est avant tout dû à mon amitié avec un Jamaïcain qui vit près de chez nous, Sam Clayton, sans qui je ne me serais pas permis de me rendre sur l’île. Il a rendu les choses possibles. C’est son truc d’ailleurs, de rendre les choses possibles ! Après, il est évident que la Jamaïque est le berceau de nombreux courants musicaux qui ont marqué l’histoire de la musique du 20e siècle… donc ayant eu l’occasion de m’y rendre si bien accompagné de Sam Clayton, je n’ai pas hésité longtemps pour le faire. J’y ai appris énormément de choses.

Vous jouez dans le monde entier, le public Dub est-il le même à travers les pays… ?

Hélas, de plus en plus. Je constate une uniformisation depuis quelques années. C’est sans doute dû aux artistes qui ont tendance à évoluer dans les mêmes sphères un peu partout, fortement influencés par le Dub anglais. Nous avions développé dans les années 2000 une réelle spécificité française axée sur le live, le métissage et certaines expérimentations et qui a tendance à se perdre, c’est dommage.

Les plus grandes voix Reggae et Dub ont chanté pour vous. Est-ce une forme d’aboutissement ou de reconnaissance ?

J’ai la chance de travailler avec de grands artistes, certains sont des légendes, d’autres sont moins connus comme ceux avec qui j’ai travaillé récemment à Bogota. C’est un aboutissement, une reconnaissance, oui, mais aussi à chaque fois une pression énorme, il faut bien le comprendre.

Vous avez toujours porté un soin particulier à votre identité visuelle. Pourquoi ?

Parce que je continue de penser que c’est primordial. Avec le label avec qui je travaille, Jarring Effects, nous continuons d’ailleurs à éditer chaque album sous forme physique, vinyle ou cd, en en soignant au maximum l’apparence. Je fais ça en collaboration avec des graphistes, notamment 642, un artiste stéphanois qui est présent depuis le début de l’aventure, mais aussi plus récemment le célèbre affichiste Ben Hito.

Vous avez toujours gardé un lien très fort avec Saint-Étienne. Une nécessité pour vous ?

Sans doute parce que j’y habite toujours ! Je suis ici chez moi.

Appréhendez-vous vos concerts stéphanois de manière particulière ?

Oui bien sûr ! C’est souvent plus stressant que de jouer ailleurs, même devant de grosses audiences… Classique ! J’ai toujours le soucis de bien faire, mais à St-Etienne, sans doute un peu plus.

Un mot sur l’autre groupe Dub stéphanois, la Dub Inc ?

Un immense respect pour leur manière de faire les choses, sans aucun appui des différents acteurs du « monde de la musique ». Même si nos productions sont très différentes. Bravo à eux. Je n’ai pas d’autre exemple d’un tel parcours.

Votre nouvel album est le fruit d’une collaboration avec Harrison Stafford de Groundation. Que représente pour vous Groundation ?

Je suis souvent sévère avec ce qu’est devenu le reggae après son âge d’or dans les années 70 et 80. J’ai toujours trouvé que ça tournait en rond, jusqu’à devenir caricatural. Groundation ne me donne pas cette impression. Ils rendent à la fois hommage aux origines jamaïcaines du style, tout en y ajoutant une touche personnelle, notamment grâce à la voix unique d’Harrison Stafford.

Pourquoi cette envie ou ce besoin de travailler sur tout un album avec H. Stafford ?

J’avais depuis longtemps l’envie de travailler avec un chanteur sur tout un album, et non pas seulement sur un titre ou deux comme j’ai pu le faire auparavant. Ça permet de développer les choses plus en profondeur. Dans le soucis d’un perpétuel renouvellement, et après avoir déjà collaboré avec la crème des artistes Dub français, anglais et jamaïcains, je voulais me tourner vers d’autres esthétiques, d’autres territoires. Mon choix s’est porté vers les États-Unis, et donc, Harrison Stafford.

Que retirez-vous de cette rencontre ?

Pas mal de satisfactions pour le moment. J’ai pu pour ma part essayer de nouvelles choses au niveau de la composition et du mixage. J’attends bien sûr la deuxième étape de la collaboration avec impatience : la tournée qui commence très bientôt. Le projet prendra alors une autre dimension sur scène et sera plus complet.

Qu’attendez-vous de ce nouvel album, « Libération Time » et de la tournée qui suit ?

Si j’ai choisi de solliciter Harrison Stafford, outre le fait que j’apprécie la plupart de ses travaux, c’est parce que c’est encore pour moi l’occasion de faire quelque chose de nouveau, de prendre des risques, de changer d’air, comme je le fais à chaque album. C’est toujours délicat de sortir de sa zone de confort, mais c’est ce que j’ai toujours fait ! Les publics ont en général du mal à se mélanger. Le fan de dub veut du Dub, le fan de blues veut du blues, etc.… Je sais que certains me reprocheront une nouvelle fois d’avoir changé mon fusil d’épaule… c’est comme ça depuis 20 ans ! Mais c’est uniquement comme ça que je me sens vivant, et sans doute pour cela que je suis encore là après toutes ces années !