Éric Blanc De La Naulte dirige l’Opéra de Saint-Étienne depuis quelques années maintenant. À l’occasion du lancement de la prochaine saison culturelle 2019-2020, nous l’avons rencontré pour parler de l’Opéra Bien sûr, de culture, cela va sans dire, et de quelques sujets périphériques. Nous avons découvert un homme passionné, empli d’une certaine joie de vivre, et qui aime profondément son métier. Rencontre :

La première question est en général l’occasion de se présenter. Qui donc êtes-vous cher Éric ?

J’ai commencé ma carrière dans la culture au Théâtre du Lucernaire, qui est un centre national d’art et d’essai de Montparnasse, sous la direction de Christian Le Guillochet en 1992, en tant qu’administrateur général. Cet établissement était un vrai lieu de vie qui regroupait des salles de cinéma, de théâtre, d’exposition, un restaurant… Cela m’a appris la rigueur car coordonner 1 800 représentations par an soit 6 différentes par jour, ce qui n’est pas rien. Je suis resté 8 ans dans ce lieu. En 2002 j’ai répondu à une offre de l’Opéra de Saint-Étienne qui recherchait son directeur adjoint administrateur. J’ai été recruté à cette époque par Jean Louis Pichon. J’en suis resté jusqu’en 2009 et je suis parti pour devenir directeur administratif et financier de l’Opéra National du Rhin à Strasbourg. 4 ans enrichissants avec des bons et des mauvais souvenirs. J’ai toutefois la satisfaction d’avoir laissé en partant un excédant budgétaire d’environ 1 million d’euros ce qui est une fierté pour moi. En 2014 je me suis présenté sur l’offre de directeur général et artistique de l’Opéra de Saint-Étienne. Un retour aux sources. 5 ans plus tard je suis toujours là et donc je vais lancer ma 5e saison.

Faisons un bilan sur l’Opéra. Où en est-on aujourd’hui ?

L’Opéra va bien aujourd’hui. Je reste prudent car on ne sait jamais comment les choses peuvent évoluer. Un théâtre sans problème, qu’il soit parlé ou chanté, cela n’existe pas ! Mais il est clair qu’aujourd’hui l’établissement se porte bien. Les indicateurs sont au vert. Le premier étant le budget. Nous sommes dans l’équilibre et dans le respect de ce qui était prévisionné. Les productions fonctionnent très bien. La plupart des représentations sont pleines. Programmer ne suffit pas vous vous en doutez. Encore faut-il que le public suive ! Nous créons des spectacles pour lui, pour le divertir. Je pense que c’est notre première vocation. Et que cela soit pour des découvertes ou redécouvertes, pour nos créations, nous rencontrons une véritable acclamation du public, de très longues salves d’applaudissements qui nous ravissent. Salle pleine et public conquis, que demander de plus ? Nous avons aussi une bonne presse. Beaucoup de journalistes locaux, nationaux ou internationaux nous font l’honneur de nous suivre et apprécient nos productions. Pour Dante, qui était une recréation mondiale, nous avons accueilli 18 supports médiatiques dont beaucoup de pays comme la Pologne, l’Italie, l’Angleterre… Tout est perfectible et améliorable mais les indicateurs sont plutôt bons. Stabilité financière, spectacles qui font le plein, et presse au rendez-vous, en somme la maison fonctionne bien.

Une maison qui a beaucoup de pièces, et beaucoup d’habitants. Costumes, décors etc. tout est fait sur place ?

Un opéra c’est énormément de métiers de spécialisations qui ne sont pas facilement accessibles à moins de suivre des cursus spécifiques. L’Opéra de Saint-Étienne est le seul avec celui de Paris à disposer en son sein d’ateliers de productions. Ce qui est exceptionnel. Ce bâtiment fait 36 000 mètres carrés. Nous avons une menuiserie, une serrurerie, un atelier de décors, un atelier de couture pour les costumes… Prenons par exemple la construction d’une structure en menuiserie ou ferronnerie. Cette structure doit être décorée d’une part mais elle doit aussi supporter le poids de chanteurs, d’artistes du chœur qui vont se retrouver à 15 ou 20 sur une passerelle… Il y a des bureaux d’études qui interviennent et les artisans suivent scrupuleusement les indications données dont certaines liées à la sécurité qui sont très strictes et précises. Nous avons aussi des comptables, des managers, des techniciens son, éclairagistes, régisseurs, vidéo… Une quinzaine de métiers qui sont regroupés ici et qui font notre force. Cela permet aussi de vraies économies d’échelle.

Combien de personnes cela fait-il ?

En permanence à l’Opéra nous sommes 85 mais nous travaillons avec beaucoup d’intermittents pour le chœur, l’orchestre ou d’autres secteurs. Ce qui veut dire que lorsque nous sommes en production, c’est-à-dire quasiment tout le temps, d’octobre à juin, nous sommes en moyenne 200.

Sur quel budget annuel ?

Le budget global de l’Opéra est de 8 millions d’euros. Je souhaite apporter tout de même une précision. L’Opéra est un pourvoyeur d’emploi. 200 personnes comme je le disais à l’instant, sans compter les entreprises avec qui nous collaborons. Ce qui fait de l’établissement un des plus gros pourvoyeurs d’emploi de la Loire. Nous participons de fait à la solidarité nationale car comme chacun le sait nous reversons sous forme de charges une grosse partie de ces financements. Comme 85 % de notre budget est dédié aux ressources humaines, c’est pratiquement 3 millions d’euros de charges que nous devons acquitter. Cet argent ne va donc pas qu’aux créations ou pour l’achat de matériaux.

Croyez vous en la pérennité de ces métiers ? Les coupes budgétaires obligent à réorienter certains choix ?

Vous savez, l’homme a besoin de divertissement et l’opéra, cela fait 400 ans qu’il existe. Il y a bien eu des crises mais tout de même ! Il faudra bien des gens pour réaliser les costumes, les décors, etc. Il y a fort à parier que cela durera encore bien après nous ! Je suis donc assez optimiste. Après, cela fonctionnera peut-être différemment, mais l’homme a besoin de rêver et l’opéra reste un art populaire. Que cela soit un chanteur ou un musicien, lorsque c’est bien fait, irrémédiablement cela nous conduit à nous arrêter pour écouter. On pense souvent à tort que ce n’est réservé qu’à une certaine population, c’est vraiment pour tous car on le ressent tous. Cela ne peut pas disparaître.

Vos tarifs sont-ils également adaptés au plus grand nombre ?

Bien sûr. La ville de Saint-Étienne a une politique tarifaire avantageuse. C’est le cas aussi pour d’autres structures. L’opéra de Saint-Étienne est le moins cher de France. Si vous voulez vous faire plaisir, avoir une place vraiment bien située, c’est 57 euros. En général il faut compter 80 ou 90 euros. Et au plus bas, nous avons des offres à 5 euros qui sont vendues 1/4 d’heure avant le début de chaque spectacle s’il reste des places. Il y a aussi toutes les opérations faites avec les écoles, les étudiants, les publics à empêchement, handicapés… Je rebondis sur les scolaires, ils sont 23 000 à venir chaque année. Ce n’est pas rien ! Notre politique est vraiment adaptée à tous. 5 euros pour voir 110 personnes sur scène, ce n’est pas mal.

Quel est votre regard sur la culture au sens plus large. Votre optimisme résiste-il à l’évolution de sa place dans notre pays ?

Nous avons la chance d’avoir en France des pouvoirs publics qui sont au plus proche des institutions culturelles. Alors tout n’est pas parfait mais notre richesse en France est loin d’être la même pour tous les pays. Vous avez par exemple certains pays anglo-saxons qui sont subventionnés par des partenaires privés. Qui dit partenaire privé dit souvent ingérence artistique car le financeur veut donner son avis de non expert sur ce qu’il finance. En France vous avez vraiment le respect de l’institution, de ceux qui programment, que cela soit pour les musées ou pour les salles comme l’Opéra. Cette puissance publique, dans laquelle je m’inclus et je vous inclus puisque nous en faisons tous partie, est à vos côtés. Notre république, notre démocratie par notre vote, puis nos impôts font que nous participons, notamment à la culture. Je fais partie de ceux qui pensent que nous avons de la chance. Cela perdurera-t-il ? Je n’ai pas de boule de cristal. Nous aurons toujours besoin de culture, c’est une certitude. La culture c’est ce qui nous rapproche, ce qui gomme les différences, ce qui évite les affrontements. On le voit bien, tout régime totalitaire n’a qu’une ambition au départ, c’est de supprimer l’accès à la culture, aux livres… Avec cela on enlève la pensée aux gens et on leur fait croire n’importe quoi, mais il y aura toujours des gens pour se battre pour la culture. Après nous savons tous qu’il y a des hauts et des bas. Mais la culture gagnera toujours, pas grâce à un individu, mais nous tous. Et si je puis dire, à Saint-Étienne, nous avons un public extraordinaire, au stade évidemment, mais à l’Opéra, au théâtre… Des passionnés qui nous donnent de l’énergie pour avancer.

La saison arrive doucement à sa fin. Quel bilan tirez-vous de ces quelques mois ?

Nous avons fait une belle saison je pense. C’est une réussite. Nous avons eu une belle campagne de communication, avec comme vous le savez le deuxième prix sur 700 candidats, et de vraies satisfactions pour nos créations, comme Dante ou Carmen et Cendrillon pour clôturer la saison lyrique. Cendrillon de Nicolas Isouard avec la particularité d’avoir une académie d’orchestre qui va faire intervenir des musiciens des conservatoires du Puy-en-Velay et de Saint-Étienne. Donc donner une première chance à des artistes qui seront bien évidemment encadrés par les solistes de l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire. Carmen affiche déjà complet tout comme Callas, en danse, qui affiche complet depuis plusieurs mois.

Du coup, une fin de saison annonce l’arrivée de la saison suivante. Quelles en sont les grandes lignes ?

Nous sommes dans la lignée des éditions précédentes. 6 programmes lyriques, 7 programmes symphoniques dont 2 avec chœur, 6 ballets, 18 concerts de musique, que cela soit de la musique de chambre ou d’artistes invités ou de récitals de piano, et bien évidemment la programmation spécifiquement destinée au jeune public et aux écoles. Cette année en revanche nous aurons la particularité de recevoir un compositeur en résidence, Benoit Menute, qui avait créé la musique de Fando et Lis que nous avions présenté en 2018. Il sera accompagné de Kristian Frédric qui avait fait la mise en scène de cet opéra. Ils nous feront l’amitié de nous proposer une création au piano qui s’articulera autour de l’acte de créer de la musique, et les sentiments de joies ou les difficultés que cela peut procurer. Pour le lyrique, nous aurons de belles créations et coproductions comme Don Giovanni de Mozart et le Don Quichotte de Jules Massenet, oeuvre assez inédite. 3 productions dont la Traviata qui clôturera la saison. Ce sont des titres incontournables qui reviennent régulièrement car se sont de véritables chefs-d’œuvre et que le public redemande. Et il ne faut pas oublier que nous sommes au service du public ; Il faut savoir répondre à ses attentes. Nous allons enfin créer un nouveau format qui seront les afterworks en partenariat avec le Novotel-Châteaucreux. Il s’agit de petites formes musicales proposées par les musiciens et voix de l’Opéra, des soirées à thèmes festives (concerts et amuse-bouches) au rythme d’une date par mois. Tout cela dans un cadre assez festif.

Parlons de vos nouvelles créations. Quelles sont-elles ?

Nous allons avoir Don Giovanni et Don Quichotte. Don Quichotte de Massenet disais-je, l’enfant du pays. C’est une tradition de l’Opéra de Saint-Etienne que de proposer à la fois des titres phares, très demandés par le public, et de faire découvrir des oeuvres plus rares, voire inédites. ça été le cas pour Dante cette année, ce sera le cas pour Docteur Miracle en coproduction avec l’Opéra de Tours, ou bien encore la Damnation de Faust en version concert.

L’opéra hors les murs, toujours ?

Oui, nous avons une tradition d’accueil de certains spectacles venant d’autres structures. Et nous avons reçu Beaulieu notamment après l’incendie de sa salle, les 7 Collines, le Rhino Jazz festival… Ensuite nous ne pouvons malheureusement pas honorer toutes les demandes. C’est un grand vaisseau de 36 000 m2 je le disais, qu’on ne peut pas manœuvrer comme une petite barque. Lorsque nous sommes sur une production pour laquelle plus de 100 personnes sont mobilisées sur un ou deux mois, il est difficile de faire autre chose. Cela ne nous empêche pas d’être aussi tournés vers l’extérieur en apportant nos équipes dans les hôpitaux, les crèches, la maison d’arrêt de la Talaudière, nous avons des actions avec les malentendants, les malvoyants, tous les publics empêchés etc. On pourra toujours nous reprocher de ne pas en faire assez. Mais si l’on regarde l’offre stéphanoise, et par exemple le nouveau projet de la Comète, cela va encore augmenter le dynamisme de la vie culturelle à Saint-Étienne et augmenter l’offre d’accueil. C’est une chance pour la ville et pour les acteurs culturels.

Un dernier mot ?

Le slogan de cette année était « Vibrez Opéra ! », la nouvelle saison ce sera « Vivez Opéra ! ». Il faut vraiment ressentir et vivre nos émotions. dans cette société on veut trop intellectualiser, rationaliser, réfléchir. C’est bien mais fermer les yeux, lâcher prise, souffler et apprécier le moment présent, c’est bon de se faire envahir par la musique, regarder les couleurs d’un paysage, boire un verre à la terrasse d’un café. Lâchons prise, la vie est belle et l’Opéra y contribue ? Vivez, ressentez, soyez passionnés ! Vivre, ce sera mon mot de la fin.