Je l’ai rencontré il y a bien des années déjà. L’EOC fête ses 25 ans, tout comme l’Agenda Stéphanois d’ailleurs. Il est de ces hommes qui font, qui fédèrent, qui osent et qui, au final, avancent. Plus que jamais, D. Kawka a toujours milité pour sa ville, Firminy, son territoire et bien sûr, sa musique. « Maintenant Musiques ! » est le nouveau festival qu’il crée en toute simplicité, rencontre : 

L’Ensemble Orchestral Contemporain que vous avez créé a fêté son 25e anniversaire. Quel regard portez-vous sur cette aventure ?

Un regard plein de joie, de satisfaction. Ce qui s’engageait alors sur des chemins d’aventure, vers des contrées inconnues, vers un monde sonore immense à explorer, mû par l’audace seule, le défi et la volonté de faire, s’est transformé peu à peu en un pays fertile où la création, l’imaginaire sonore contemporain ont rencontré leur public. Il nous a fallu grimper un Himalaya tant la distance à parcourir entre le désir de jouer la musique de notre temps et la plénitude instrumentale requise, la maîtrise des styles et des œuvres, le rayonnement, semblaient lointains,. Il fallut pour cela flirter avec les cieux, allégorie d’un Idéal à atteindre ; Et nous l’avons fait. Certes l’absolu n’existe pas mais ces années nous ont données à respirer l’air du grand large et des cimes en participant en tant qu’acteur privilégié à la création musicale française et internationale et d’être aujourd’hui une structure de création, d’interprétation et de diffusion connue et reconnue.

Durant ces 25 ans, soit une génération, le regard du grand public sur la musique contemporaine a-t-il changé ?

Non, le regard n’a pas changé car l’éducation musicale n’a pas connu une grande efflorescence, à l’école j’entends. Mais la proposition culturelle s’est diversifiée et à ce titre il fallut et il faut encore être très inventif pour trouver les formes de concert et de diffusion adéquates et toucher la sensibilité de l’auditeur. Par la publicité, la musique de film, l’interface multimédia, une forme de musique intermédiaire entre musique populaire et savante a cependant ouvert le champ auditif. La matière sonore de la techno par exemple n’est pas si éloignée de la rhétorique sonore dite contemporaine. Steve Reich l’a bien compris en intégrant de la musique techno dans son œuvre City life. Une forme de wordmusic a créé des ponts, ténus certes, mais des ponts quand même entre les genres. Par ailleurs, les musiques dites savantes sont sorties des temples et se diffusent avec bonheur dans la Cité, allant vers les publics, jouant aussi sur la mixité des genres musicaux. Enfin, les enfants d’aujourd’hui bercés à toutes les formes sonores sont très ouverts aux musiques modernes et contemporaines. Une expérience menée voici deux ans à l’Opéra de Saint-Étienne auprès de populations scolaires autour du Marteau sans maître de Pierre Boulez fût bouleversante à cet égard, tant les enfants furent sensibles à cette musique, captivés, enthousiastes. C’était LEUR musique.

Devant la raréfaction des financements publics, comment l’EOC parvient-il à survivre ?

L’EOC a eu beaucoup de chance car de par la diversité de ses actions de diffusion et de médiation menées à tous les niveaux territoriaux, la légitimité culturelle acquise de saison en saison, l’Ensemble n’a pas trop souffert des turpitudes qui ont ébranlé le monde économique et par onde de choc le monde culturel. Certes des partenaires ont changé depuis, des subventions baissées, mais le jeu des conventionnements multipartites, la labellisation nationale de l’EOC obtenue en 2015, sa réflexion permanente, son ouverture à tous les publics, son rayonnement international l’ont préservé de la crise. Enfin, le paysage musical français a changé, a muté ces dernières années. L’EOC qui représentait en son temps un ensemble émergeant en Région parmi d’autres, inscrit dans un pôle historique d’ensembles français, installé, a vu sa place s’accroître considérablement porté par les compositeurs, les festivals, les programmateurs en France et à l’étranger et a renforcé ainsi la confiance des partenaires institutionnels, des programmateurs.

L’EOC a reçu la reconnaissance de Pierre Boulez, était-ce important pour vous ?

Oh combien important !! Il me semblait impossible de ne pas croiser tôt ou tard Pierre Boulez dans la vérité de son jugement musical : l’Ensemble était-il digne de jouer sa musique ? Digne techniquement, intellectuellement dans la maîtrise de la forme et de l’expressivité de son œuvre j’entends. Pierre Boulez a modelé la pensée musicale moderne, de 1945 à 2016. Incroyable longévité ! Ainsi, toute formation instrumentale de très haut niveau, au service de la création attendait-elle tôt ou tard ce regard, cette relation, cette approbation, un test de vérité en somme ! Mais surtout sa musique incarnait et incarne aujourd’hui toute la poésie et l’audace du XXe siècle. Tout comme Mozart en son temps embrassant à lui seul le style classique, Boulez incarne la modernité puisant ses racines chez Debussy. Un des paris fut de lui proposer d’enregistrer la première version au disque de sa dernière œuvre, un monument : Dérive 2. Jamais un premier enregistrement d’une de ses œuvres n’a été réalisé par un autre interprète que lui. Il accepta. Cette confiance et cette caution artistique doublées de la réussite discographique ont propulsé l’Ensemble, doté aujourd’hui d’une aura internationale.

Adolescent, vous écoutiez Jimi Hendricks. Êtes-vous toujours intéressé par la musique « plus populaire » ?

Oui. Un son, un climat, un timbre, une voix, les premières notes de « Wash » de Bon Iver ouvrent un monde d’émotions. Il ne faut surtout pas résister aux limites culturelles imposées par les clivages et les systèmes. La plus belle des valeurs est la liberté. Liberté d’aimer, de sentir, de ressentir ce qu’il y a de plus intensément profond et bouleversant d’expression et de beauté dans un son, un accord, un chant, quel qu’il soit. Alors oui quelques notes de la guitare de Jimi Hendrix dans « Hear my train a coming » nous touchent tout aussi intensément qu’une des grandes pages du Ring wagnerien, au même niveau viscéral, sensoriel et sensible.

Vous avez toujours gardé un attachement particulier à notre région. Pourquoi ?

Au fond, « des trottoirs de Manille, de Paris ou d’Alger », chaque lieu est un lieu possible de naissance puis d’appartenance, sociale, culturelle, d’attachement, un épicentre, son épicentre. Cette région qui n’a pas vu naître mes ancêtres mais les a accueillis a une âme véritable, une diversité de destins et d’espaces. Cette terre porte en elle une générosité dans la nature et les hommes. Les pentes y sont raides parfois, l’air des montagnes vif mais le soleil y brille ! J’y sens surtout un champ de possible relationnel à travers une culture de nature méditerranéenne qui me convient.

Vous avez été marqué par un opéra, « Parsifal », donné à Orange, il a plusieurs décennies. Pouvez-vous nous parler de ce souvenir ?

Votre question m’interpelle car elle entre dans mon actualité. Ce fut un choc émotionnel immense à travers le parcours initiatique du héros, « le chaste fol ». De la naïveté à l’initiation, de la révélation à l’illumination j’y vivais là en temps réel mon propre destin d’homme et de musicien. À cela s’ajoutait cette ligne vocale hypnotique, ce déroulé lent qui vous enveloppe charnellement et émotionnellement et cet orchestre profond qui de motif en motif vous soulève l’âme, cette vibration fondamentale qui résonne dans les profondeurs de l’être et cette spirale temporelle qui en cinq heures vous fait quitter la sphère de la conscience et du réel. Wagner devait décider de ma carrière. J’entrai dans les arènes musicien apprenti encore, j’en sortis sûr de mon destin, chef d’orchestre.

Ce souvenir est vivifié par le travail d’approfondissement qui m’y conduit de nouveau ces derniers mois. Olivier Py dans son roman « Les Parisiens » me cite en ma qualité de chef d’orchestre et évoque une anecdote concernant Parsifal. Lapsus ou inversion intentionnelle entre Tristan, que j’ai dirigé dans sa propre mise en scène, et Parsifal, cité comme fiction du roman ? Il cite cette œuvre néanmoins. Quelques mois plus tard, je dirigeai Lohengrin à l’Opéra, ce superbe ouvrage de maturité de Wagner. Lohengrin, fils de Parsifal ! Le temps de l’œuvre arrive donc après un parcours wagnérien qui m’a déjà conduit de Fliegende Holländer à Tristan et Tannhauser, du Ring à Lohengrin.

Il y a quelques années, vous avez fondé un nouvel ensemble, l’OSE, l’Orchestre Symphonique Européen. Pourquoi ce besoin de créer un nouvel ensemble ?

Eeeeuh ! Pas européen en fait ! Ose ! c’est « Oser », tout simplement. Remettre l’audace, l’imagination, la réflexion portant sur la tradition, l’héritage en termes d’interprétation, l’acte d’interprétation lui-même, intense et généreux, au cœur d’un nouveau projet. L’idée de la création de Ose était bien de retrouver la même liberté, le même esprit chambriste, le même engagement jouissif et communicatif avec l’orchestre symphonique qu’avec un ensemble ; Transposer le succès de l’EOC, fond et forme, vers le grand répertoire en laissant grandes ouvertes les passerelles historiques, les audaces, jouer Beethoven et Dutilleux dans un même programme, un quatuor à cordes avec la symphonie des mille, ouvrir le champ de tous les possibles et surtout imaginer un nouveau timbre d’orchestre, ample, chaud, généreux, une nouvelle énergie du son. Nous l’avons fait avec l’EOC. Le fantasme étant de retrouver les qualités intrinsèques et communicatives des orchestres tels les Wiener philharmoniker, les Berliner, le LSO…Projet ambitieux, mais tellement possible avec les jeunes musiciens d’aujourd’hui aguerris à tous les styles, curieux de tout et partants pour partager et faire partager leur passion sans limite pour la musique. Le succès du CD consacré aux œuvres de Ravel avec le pianiste Vincent Larderet témoigne de ce concentré d’énergies et de talents, de ce désir de perfection commune. La musique n’est-elle pas un objet vivant qui nous choisit et nous dicte ses propres lois ? Elle dicte aussi les chemins du plaisir, du partage et de l’accomplissement.

Le patrimoine Le Corbusier de Firminy a reçu l’obtention du label Unesco… Une chance selon vous ?

Une chance immense. Pour le territoire bien sûr, pour le patrimoine lui-même, objet de visites, source d’émerveillement, pur joyau d’architecture, mû par une authentique réflexion sociale et philosophique du vivre ensemble. C’est une chance pour cette région qui de fait se désenclave et rayonne. Dans cette vallée minière condamnée à porter une éternelle aura industrielle un astre incandescent, grâce à la clairvoyance d’un élu, est venu poser ses valises pour nous faire partager sa vision d’une cité idéale. Aujourd’hui l’art et la musique en écho y rayonnent

Pouvez-vous nous présenter le festival « Maintenant Musiques! » ?

Maintenant Musiques ! La voix est laissée à la musique quand s’épuisent la parole et le mot ! Sur les terres qui ont vu naître Massenet et Boulez, il était naturel d’imaginer une manifestation consacrée à la musique française. L’EOC, avec un parcours créatif immense et une internationalisation de son répertoire, a néanmoins construit compétence et réputation sur ce terrain de répertoire, sans aucune forme d’atavisme certes, mais à travers une manière de jouer et de faire sonner la musique française comme aucune autre formation (que française) ne peut le faire. Je ne sais si comme dit le proverbe « on ne chante jamais aussi bien que dans son arbre généalogique » mais en tout cas on y chante magnifiquement bien ! Aussi, sans événement équivalent en France, avec ce bagage immense acquis en matière de répertoire français, un lien amical et professionnel établi depuis deux décennies avec la communauté des compositeurs, il était naturel de démarrer « l’an un » des Rencontres.

Quels sont les objectifs et les ambitions de ce festival ?

Faire se croiser les œuvres des compositeurs, toutes générations confondues, répartir les quatre soirées dans différents lieux géographiques, différentes villes, créer des points de rencontres entre les publics, passer commandes d’œuvres nouvelles, faire participer de jeunes musiciens à cette aventure fantastique de la création, s’ouvrir au terreau urbain, économique, industriel, montrer enfin que la musique d’aujourd’hui est fête et mystère, poésie et émotion, partage.

Le second objectif est de créer un point de « Rencontres » qui au fil des ans donnera la parole à tous les créateurs, à travers la forme du concert, à travers le monde des sons, mais aussi dans sa relation à l’image, à toutes les formes d’art connexes qui enrichissent le propos musical, l’instrumental restant cependant au cœur du projet.

L’ambition est enfin la projection de l’événement vers l’extérieur, avec la complicité de grands médias tels France Musique pour faire connaître et partager une fois encore les œuvres d’aujourd’hui qui portent et colportent la beauté du monde. Il y a tant de « symphonies pastorales » modernes à faire entendre et découvrir encore !

Quels seront les moments importants du festival ?

Chaque moment sera important car chaque concert donnera à entendre des œuvres de très forte intensité expressive et poétique. Le concert d’ouverture sera insolite car l’accordéon renverra à des senteurs musettes (Renoir n’est pas loin !) et les smartphones individuels seront autant de résonateurs. Satie y sonnera aux couleurs du jazz.

Hautes sphères célestes à Rive de Gier et voix somptueuse de la clarinette d’Hervé Cligniez, concert mythique à Roche la Milière avec Debussy et l’évocation de la mer, avec le basson nimbé de mystère de Laurent Apruzzese. Le concert de clôture à l’espace Le  Corbusier donnera carte blanche à un grand créateur de notre temps, Philippe Manoury à travers deux œuvres concertantes, l’une pour violon électronique en temps réel et ensemble, l’autre pour piano et ensemble. La danse y fera irruption sur écran dans une troisième œuvre.

Créer en terres Ligériennes un festival de musique contemporaine en 2017, un nouveau pari rempli d’audace ?

C’est un nouveau pari en effet. Mais les Rencontres internationales de musique française ne seront pas un festival à proprement dit. Le terme de rencontre recouvrant l’idée d’ouverture, de participation, « d’eaux mêlées » au beau sens du terme, de création et d’émulation, de surprises, d’élans à travers les concerts proprement dits et un kaléidoscope de propositions où le public et l’œuvre à naître, naissante (à travers la digitalité des interprètes) dans le temps de répétition se rencontrent et dialoguent aussi. Il y a une réelle fascination à voir naître l’œuvre du travail, du néant de la matière/son, comme celle de voir apparaître progressivement un visage derrière les gestes du sculpteur.

L’audace ? Oui, celle de surprendre, de retenir l’attention, de retenir le souffle de l’auditeur à l’écoute du beau, encore et toujours, et de sentir, percevoir avec émerveillement que l’imaginaire du créateur est infini. L’audace d’affirmer que la musique est « une », ni savante, ni populaire, libre, à tous, pour tous.

Est-ce simple de monter, notamment financièrement, une telle manifestation ?

En réalité non ! Nous vivons à une époque où la proposition culturelle nous le disions est forte. Aussi faut-il qu’une nouvelle manifestation entre pleinement dans le paysage, prouve son originalité, fasse écho de son succès pour entraîner l’adhésion. Il faut toujours une première fois. Mais grâce au soutien des villes qui se sont engagées financièrement dans cette première édition et auxquelles nous rendons un hommage soutenu avec tous nos remerciements, grâce à la part de financement propre de l’ensemble, l’anticipation de la seconde édition en termes de présentation du projet soumis au vote des collectivités, nous rendons ces premières rencontres possibles. Et puis le succès n’appelle-t-il pas le succès ? La seconde édition est déjà assez riche d’idées pour faire venir à elle de nouveaux partenaires.

Cinq soirées, quatre villes… Pour quels liens ?

Le lien est avant tout celui d’une réflexion territoriale commune et d’une rencontre entre des élus éclairés et partants pour porter leur force autour d’un grand projet les unissant. Une plateforme commune de billetterie est notamment mise en œuvre. Un grand projet pédagogique, qui est une fierté de l’Ensemble pour cette première édition, est de créer à Roche-la-Molière l’œuvre d’un jeune compositeur issu des classes de composition du conservatoire Massenet, Simon Marsan. Sous la responsabilité d’un des solistes de l’ensemble de jeunes musiciens issus des conservatoires et écoles de musique de Saint Étienne, Roche la Molière, Rive de Gier ouvriront le concert. Les connexions et liens sont ainsi très forts. Les concerts n’étant pas alors cinq concerts en cinq lieux indifférents, mais entrent en résonance, en connexion avec les publics, les populations, les salles accueillantes, la philosophie culturelle de chaque ville dans la ceinture métropolitaine et avec la ville centre. C’est une première je crois, tout comme la venue de France musique pour la captation du premier concert de l’édition au théâtre Copeau. Et puis ne faut-il pas goûter au moins une fois dans sa vie aux siestes musicales de Fabrice Jünger ?

Qu’attendez-vous de cette édition 2017 du festival ?

Le succès, l’envie de tous de voir continuer l’aventure, la surprise, le volcan de l’interprétation, la volupté du son, le mystère, la poésie, la petite lumière de l’émotion dans les yeux, la joie partagée entre le public venu nombreux, les organisateurs, les musiciens de l’ensemble, les compositeurs, les solistes, Pascal Contet, Ancuza Aprodu solistes invités, Hervé Cligniez, Laurent Apruzzese, Gael Rassaert solistes de l’EOC.