C’était écrit, il n’y aura donc pas de candidature de la gauche unifiée au premier tour de la prochaine élection présidentielle. Autant dire que le risque d’absence de candidat de gauche au second tour est quasi certain, n’en déplaise à tous les utopistes ou idéalistes qui nous entourent. Les électeurs de gauche sont donc pris en otage une fois encore dans une équation insoluble qui les place devant l’inacceptable : voter pour la droite ou le centre droit pour faire barrage à l’extrême droite. A force, ils en ont l’habitude, n’est-ce pas ? Car derrière l’élection présidentielle se profile les prochaines législatives, le rendez-vous de toutes les crispations.

Ce n’est pas tant un problème d’égo des deux candidats, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon que de stratégie politique. En effet, jusqu’à preuve du contraire, Benoît Hamon reste le candidat du parti socialiste et en tant que tel, il ne peut faire sans tous ceux qui ont soutenu François Hollande cinq longues années durant. Le Parti Socialiste est comme un cochon que l’on doit clairement engraisser pour satisfaire tous les appétits. Et les enjeux sont de taille puisqu’il faut recaser des dizaines et des dizaines de candidats, ancien ministre, secrétaire d’état, apparatchik ou fonctionnaire de la politique. D’ailleurs, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ne sont-ils pas issus de cette classe dirigeante française qui a largement vécu sur le gras de la bête… ? Concrètement, Benoît Hamon doit partager le gâteau avec Jean-Christophe Cambadélis, notaire en chef du parti, et toute sa clique… Il doit donc pactiser avec tous les tenants d’une gauche libérale et progressiste qui se situe à mille lieues de la posture d’un Benoit Hamon ou d’un Jean-Luc Mélenchon.

Après avoir combattu et parfois même insulté le gouvernement de Manuel Valls, Jean-Luc Mélenchon ne veut justement pas se compromettre avec cette frange libérale et non négligeable du parti socialiste. Or, un accord avec Benoît Hamon l’obligerait à faire des concessions, notamment sur la présence dans certaines circonscriptions de figures de l’actuel gouvernement, Myriam El Khomry, Marisol Touraine ou Jean-Marie Le Guen pour ne citer que quelques exemples. Rappelons à toutes fins utiles que Jean-Luc Mélenchon, de longues années durant, a pourtant partagé ces mêmes idées pseudo-libérales. Sa conversion à une gauche assumée et écologique est somme toute récente au regard de sa longue carrière. Et il semble donc que son désir d’avoir son propre groupe parlementaire à l’assemblée soit beaucoup plus fort que sa capacité à avaler les couleuvres, aussi roses soient-elles. Sans doute, au plus profond de lui, se voit-il comme un éternel contestataire plus héroïque et lyrique dans l’opposition que dans la négociation.

On le voit, ce sont bien les logiques de partis et de carrières politiques qui empêchent toute éventuelle union de la Gauche. Chacun pourra renvoyer la faute sur l’autre. Mais ce sera un fait, la gauche sera absente du second tour des élections présidentielles 2017. Mais pas sûr que Benoît Hamon ni Jean-Luc Mélenchon ne portent trop longtemps cette croix. Car la politique est leur métier, l’unique objet de toute leur vie professionnelle. Les deux ont fait leurs premiers pas au sein du syndicat étudiant l’UNEF-ID, sorte de centre de formation pour joueurs professionnels… Jean-Luc Mélenchon devient conseiller municipal en 1983, il a alors 32 ans et il est élu sénateur socialiste en 1986, 30 ans déjà. Avant d’entrer en politique, J-L. Mélenchon aura été professeur puis journaliste à la fin des années 70. Benoît Hamon peut lui se targuer de n’avoir jamais connu aucune autre expérience que la politique. Il devient assistant parlementaire à l’âge de 24 ans. Depuis, il a gravi tous les échelons du Parti Socialiste, sagement, tranquillement. C’est cette parfaite connaissance de l’appareil qui empêche précisément toute connexion avec J-L. Mélenchon.

On s’aperçoit dès lors de la limite de notre Cinquième République, qui repose sur la logique des partis politiques et la figure tutélaire du chef de parti, et du fonctionnement de tout notre appareil politique. On le voit bien avec les multiples histoires de conflits d’intérêts, de privilèges et système clanique, notre pays a besoin d’un profond renouvellement au plus haut de ses représentations symboliques. Cependant, ni Marine Le Pen, qui n’a fait qu’hériter du parti de son papa, ni François Fillon, sorte de clone de Benoît Hamon de droite, ni même Emmanuel Macron, élément faussement perturbateur envoyé par le système pour mieux contrôler le système, ne semblent en mesure de porter une réelle ambition de rénovation à défaut de révolution. Pour bon nombre d’électeurs français, il sera donc question encore une fois de voter contre au lieu de voter pour…