Inutile de s’en cacher, j’ai adoré « Kordobella », le second album du groupe stéphanois Barrio Populo. Victor, chanteur et guitariste du groupe, a pris le soin de répondre à toutes nos interrogations. Rencontre avec un jeune auteur et compositeur très inspiré :

Pouvez-vous nous rappeler l’historique de votre groupe ?
À cette question qui paraît plutôt simple, nous avons toujours un peu de mal à répondre. Le groupe en tant qu’histoire humaine est né il y a 10 ans. Depuis, il y a eu des changements de musiciens, des remises en question musicales assez radicales : bref, plusieurs projets et expériences artistiques, mais toujours dans le même esprit de groupe, avec les mêmes pionniers du départ et les mêmes valeurs. En 2003, âgés de 13 ou 14 ans, on a commencé à trois puis rapidement à quatre, à répéter dans le garage du percussionniste. On faisait déjà des compositions et quelques concerts. Le style était alors très festif. De 2004 à 2008, on est venu progressivement à une musique plus rock et des textes en français, délaissant l’espagnol et l’anglais chantés auparavant. On enregistre notre premier 6 titres en 2008. Vers 2009, le style devient plutôt rock-chanson avec des paroles plus poétiques, on enregistre un deuxième six titres. Le groupe décide de mettre une vraie priorité sur son développement, les tournées commencent à s’étoffer (plus de 70 dates par an). Depuis 2010, nous avons une maison à la campagne à Saint-Bonnet-le-Château, où on a habité d’abord tous ensemble, puis à 5-6 ensuite. Ce lieu reste le symbole d’un collectif, d’une envie de communauté qui n’a pas perdu de sa vérité, ni de son sens. Le groupe et l’identité musicale défendue actuellement sont nés il y a 3, 4 ans, et tout s’est concrétisé avec le premier album « Désordre » sorti en 2012. Là dessus, on a eu de bons retours de la presse, on a eu la chance de faire une grosse tournée. Puis vient aujourd’hui « Kordobella », un deuxième album qui sort le 12 mai. Un désir de rock, de mots et de concerts est toujours très vivant en nous et on a plein de beaux projets, de dates de concerts à l’horizon. Après, on verra, l’histoire n’est pas écrite.

Depuis 2009, vous avez multiplié les scènes françaises et internationales. Que vous apporte précisément la scène ?
Les tournées sont toujours des moments superbes avec Barrio, le clan se retrouve, la meute peut vivre à la folie, rien ne lui en empêche. Une tournée est remplie d’intenses moments de joie collective. La scène est un défouloir, tu peux cracher un peu de toi, c’est même ce que les gens attendent. Ce qui est merveilleux, c’est de voir tous ces gens se rassembler avec leurs différences et s’unir dans cet instant. À l’étranger, c’est la même chose, les gens ont beau ne rien comprendre de ce que tu racontes, ils captent quand même l’essentiel : l’énergie, la convivialité, l’émotion, je ne sais pas comment il faut l’appeler, mais c’est cette chose qui fait qu’on dit que la musique est un langage universel. Et ça l’est vraiment, maintenant, je peux vous l’assurer… Après, ce que nous apporte précisément la scène, je pense qu’on ne s’en rend pas vraiment compte, étant donné que nous sommes comme aspirés par ce présent que nous vivons de manière très intense. Peut-être que dans 20, 30 ans ou plus, on se dira : la scène nous a apporté « ça » ou « ça » !! Je crois que nous sommes en train de vivre une sacrée expérience, nous mesurons notre chance avec humilité. La vie est agréable et belle quand on la partage avec l’autre, on le fait chaque soir de concert. Quand le concert est bien, c’est que la folie dépasse les barrières de la scène et que tu es dans une sorte de communion avec le public. Nous donnons notre énergie et notre musique aux gens, eux nous donnent à leur tour leurs émotions, leurs regards ou autre chose, mais ils donnent toujours. Puis, ce serait mentir que de ne pas le dire : il y a notre ego qui est bien content de se faire applaudir… La scène, c’est un spectacle où tu joues un rôle agréable. C’est là d’ailleurs une difficulté qu’a l’artiste s’il souhaite rester critique sur ce qu’il fait. Il faut toujours se rappeler qu’il y a énormément de gens qui ne sont pas venus te voir et qui détestent ou se foutent de ce que tu fais.

En 2012, vous enregistrez votre premier album « Désordre », plutôt très bien accueilli par la critique spécialisée et nationale. Cela vous a-t-il rassuré ?
Oui, c’est toujours avec le sourire que tu reçois les caresses. Mais il y a aussi un côté triste et enfantin à la chose. Pour le public, ta musique devient tout à coup plus à prendre au sérieux parce que tu as eu une bonne note chez Télérama, ou une bonne critique dans Rock’n’folk… Ça montre bien que beaucoup de personnes ne sont pas autonomes. Ils attendent qu’un « spécialiste » dise son point de vue subjectif, il ne faut pas l’oublier et ta musique devient comme par magie « objectivement » intéressante. C’est d’ailleurs la même chose dans beaucoup de domaines, le « spécialiste » a la parole ultime. Mais je tiens à souligner que ce que je dis n’est heureusement qu’une vérité partielle. Le danger de la critique élogieuse est plus présent de notre côté. Nous souhaitons faire de la musique qui nous ressemble, que nous aimons vraiment. Si tu commences à faire de la musique dans le but premier qu’elle plaise, tu fais une musique sans âme, sans histoire, sans subjectivité, bref sans intérêt artistique. Et c’est, je pense, dur de continuer à faire ce qui te semble beau quand les critiques de la presse sont mauvaises. Dans ce sens, les bonnes critiques de « Désordre » nous ont rassurées et nous ont même poussés à croire un peu plus en notre capacité à faire du « beau ».

Votre style musical a sensiblement évolué depuis le début. Une évolution naturelle ?
Notre style est passé d’une musique festive avec des paroles en espagnol, à une musique rock et des textes mis en avant en français. Le changement fut en effet énorme. C’est un peu comme si nous avions fait plusieurs groupes en un. Et non, l’évolution ne fut pas naturelle. L’évolution fut le fruit d’un enchaînement de choix conscients et voulus, qui répondait à des problèmes et/ou des envies. Il n’y a jamais d’évolution « naturelle », c’est toujours des choix volontaires ou inconscients de rupture avec ce qui existe déjà, qui fait une transformation. Nous avons voulu à une époque rompre avec le festif pour le festif, nous avons voulu assumer des textes plus poétiques et plus engagés, mais rien n’est naturel dans le fait d’évoluer humainement parlant, donc musicalement et textuellement parlant dans notre cas.

Comment se déroulent vos phases de compositions musicales et d’écriture ? Est-ce un processus collectif ou plus personnel ?
Je compose et j’écris les paroles et nous arrangeons le tout ensemble. Donc on peut dire que c’est un processus qui commence dans l’individualité d’une personne et qui se concrétise et se finalise dans le collectif. C’est notre manière de fonctionner et nous tenons pour l’instant à la garder telle qu’elle, puisqu’elle convient à tout le monde et qu’elle amène un résultat satisfaisant. Nous disons souvent que le problème n’est pas dans la différence, mais dans la hiérarchisation des différences. Ce n’est certainement pas parce que je compose que j’ai une place plus importante dans le collectif, mais le collectif ne doit pas absolument être composé d’individus faisant tous la même chose. Ce qui sort de moi sort de moi, mais il ne se réalise que dans le « nous ». En tous les cas, rien n’est figé et nous ne disons certainement pas que c’est la seule manière de faire. Il y en d’autres qui fonctionnent aussi.

Alors que vos premiers textes sont parfois chantés (et écrits) en espagnol ou anglais, pour ce nouvel album, « Kordobella », tous vos textes sont en français. Pourquoi ?
L’espagnol et l’anglais sont des langues chantantes, des langues qu’il est facile de transformer en mélodies. Mais je crois surtout que je ne savais pas comment exprimer ce que je voulais dire. Où peut-être aussi que je ne savais pas quoi dire ! Du coup, je me cachais un peu derrière la barrière du langage. J’avais un accent pourri dans ces langues. De ce fait, certaines personnes m’ont poussé à écrire en français. Et par la force des choses, je me suis lancé, et très vite les paroles ne furent plus seulement un prétexte au chant, mais une fin en soi. J’ai retrouvé un peu un passé « chanson française » et je me suis intéressé à la poésie, j’y ai trouvé une mine d’or où je puise encore ! Le langage est ce qui nous permet de penser, il n’y a rien de plus important que de le connaître et de pouvoir s’en servir. Les mots font notre société, et aujourd’hui, nous nous servons de plus en plus du langage comme un outil de communication, à l’image de Facebook et d’Internet qui réduit la parole à des ‘ »j’aime »/ »j’aime pas » enfantins. Si on ne connaît plus la parole, on ne saura plus penser autrement que ce que la « novlangue » nous dicte. Je constate que la jeunesse (moi-même y compris) ne sait plus dire pourquoi elle ne va pas bien. Alors, on le dit à sa place, et on lui dit :  » apaise ta souffrance sur l’écran, crois aux réseaux sociaux plutôt qu’à l’amitié, consomme, fais-toi plaisir et basta ! » Douce illusion d’un bonheur si faux, si laid… J’essaye tant bien que mal de défendre le langage comme essence de la pensée. Qu’elle soit parole révolutionnaire ou parole d’amour. Et nous avons la chance d’avoir un haut-parleur, et que les gens nous écoutent, alors profitons-en pour essayer de « parler », pas simplement « communiquer ».

Qu’est-ce qui inspire votre écriture ? Une émotion ? Une pensée ? Une idée… ?
Les trois à la fois, voir plus… Mon histoire, par exemple. Il est difficile, voir impossible de savoir ce qui nous inspire. Je suis tenté de répondre : « à peu près tout ce qui se passe, s’est passé, m’arrive ou m’est arrivé ».

Vous avez opté pour des structures de production (label) et de distribution locales. Un choix délibéré ?
Nous travaillons avec Carotte Production (Loire) pour la production de notre album, et Jaspir Prod. (Isère) pour la recherche de concerts. Ce choix est volontaire mais pas spécialement pour leur proximité. C’est surtout notre choix d’indépendance qui nous a emmenés vers ces interlocuteurs. Nous auto organisons notre travail, nous autofinançons la majorité de nos projets (albums, tournées à l’étranger…). Et surtout, le choix nous revient toujours quand il y a une décision à prendre. Finalement, nous travaillons plus avec Lucas, qui fait le lien avec ces structures (qui, il faut le souligner, acceptent et même défendent cette indépendance). L’autogestion comme on dit, est une réalité chez nous ; chaque membre du groupe prenant effectivement part au « développement » du groupe (s’il le souhaite bien entendu…). Par exemple, Jonas (ingé son) s’occupe du côté administratif (intermittence, finances…), Thomas (percussions) et Gab (ingé lumières) gèrent le graphisme, Antoine (trombone) a organisé la tournée en Palestine… J’en passe et des meilleures (je ne vais pas faire le tour de tout le monde, on est 11 !). Lucas, dont j’ai parlé auparavant, est le « responsable » de cette auto-organisation. Il aide tout le monde, trouve des dates de concert, fait la communication sur l’album, et pense à tout ce à quoi on ne pense pas ! L’indépendance et l’autogestion, c’est ça : l’organisation, l’administration, les décisions, bref l’évolution du groupe sont gérés par le groupe.

Vous citez Rimbaud dans une chanson… Quels sont vos poètes chéris et pourquoi ?
Je cite Rimbaud. J’ai cité Prévert dans « Désordre ». J’aime beaucoup la poésie, mais je ne crois pas que j’aime un poète plus que les autres. J’aime beaucoup (dans un ordre non classé) : Antonin Artaud, Arthur Rimbaud, Jacques Prévert, Léo Ferré. De la même manière que je défends le langage comme une arme, je défends la poésie comme l’arme de la beauté. Notre monde est critiquable aussi parce qu’il n’a aucune esthétique. La compétition, le profit, l’immédiateté, l’industrie, l’ultra-consommation, en plus de toutes les critiques qu’on peut leur faire, sont des concepts laids. Crier la poésie est une attaque au brouhaha ignoble de nos sociétés. La recherche immédiate d’un accroissement maximum de profit détruit le charme de l’existence et propose une vie moche. La poésie propose le charme et est soucieuse du beau.

Vous chantez le désordre, le soulèvement, l’horrible… Ce monde vous est-il si insupportable ?
D’une certaine manière, oui. Ou plutôt, c’est le système qui est insupportable. Je pense que nous ne devrions pas supporter le système, nous devrions nous porter collectivement en société et que chacun de manière autonome puisse porter le système.

Les printemps Arabes ont-ils été, selon vous, des exemples pour nos sociétés prisonnières du sempiternel marché ?
Toute révolte nous montre qu’il est possible de résister au pouvoir, si grand soit-il et qu’il est possible et émancipateur de s’auto-organiser et d’être, même pour un moment parfois très succinct, porteur de changement. Les révoltes arabes ont remis en cause de manière parfois radicale leur propre ordre établi, ce qui est très important.

Vous chantez beaucoup l’amour aussi. L’amour, seule voie de secours ?
Peut-être que l’amour est une sorte de voie de secours, c’est assez bien dit. Mais il ne faut pas dire « la seule », il n’y a jamais une solution unique et miraculeuse. L’amour, c’est l’affirmation de soi dans l’autre. Ou plutôt avec l’autre. On ne peut vivre que pour soi, c’est une douce illusion d’enfance, on doit toujours incliner un peu de soi-même devant l’autre. Mais l’amour nous partage, nous découpe et nous mélange pour faire naître un épanouissement intérieur et vrai. L’amour est la preuve que l’on peut être heureux en ne pensant pas qu’à soi. L’amour, de ce fait, est une preuve révolutionnaire s’attaquant à l’individualisme sacralisé. Quand on aime, on ne compte pas dit-on, et c’est vrai. Je dirais même qu’on se fout de toute logique « rationnelle » dans la passion amoureuse. Or, notre système ne cesse de compter, de mesurer, de tout penser par la statistique et l’utilitaire. Notre système se joue de notre affection, il fait l’éloge de la séduction, il pousse à la consommation sexuelle et ridiculise la fidélité. L’amour est vidé. Il n’est plus qu’une vague « expérience » dans laquelle chacun se doit d’être le plus performant. Vivre l’amour, provoquer l’amour dans le plus de situations possible, c’est redonner envie aux gens de se construire ensemble et de rejeter ce qui les sépare et les enferme. Je dis « l’avenir, c’est l’amour ou rien », je devrais dire : l’avenir sans amour n’est pas souhaitable.
Musicalement, les influences sont multiples. J’imagine que vous assumez pleinement le grand écart entre punk-rock (façon Green Day), musique classique et chanson française (cf. Ferré) ?
Nous assumons notre mélange de styles musicaux. Et nous nous efforçons de trouver un lien entre toutes ces différences. Trouver une identité musicale, c’est construire un pont entre les influences. C’est ce que, je crois, est mieux réussi dans « Kordobella », notre second album. Nous ne voulons pas faire un style unique, nous ne souhaitons pas n’avoir qu’une couleur musicale, nous essayons de proposer un arc-en-ciel.

Le texte détermine-t-il le style musical de vos chansons ?
Non, il ne le détermine pas, il l’influence plus ou moins. Le texte et la musique sont en « mariage », mais parfois, il y a divorce…

Vous avez une position assez tranchée sur Internet et son utilisation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons une position radicale, à contre-courant de la pensée du XXIe siècle. Nous pensons qu’Internet et son monde (le monde actuel ?) ne sont pas de simples outils, mais une machine à caractère total, c’est-à-dire qui totalise notre façon d’être au monde. Un marteau est un moyen pour une fin décidée, imaginée. Quand un problème se pose dans la réalisation d’une construction imaginée, le marteau servira à résoudre ce problème. Internet est une fin en soi, tout est sur internet nous dit-on. Quand un problème se pose, Internet répond et pose un point final et total à la question. Comme la télévision (en plus évolué), cette machine remplace l’imagination. Internet gère nos vies plus que nous gérons Internet. C’est ce qu’on appelle l’emprise numérique. Nous travaillons sur internet, nous jouons sur internet, nous parlons sur internet, nous parlons à internet, nous nous renseignons sur internet, nous écoutons de la musique sur internet, nous dragons sur internet, etc.… Nous vivons sur internet et par internet. Une telle emprise n’est pas exagérée pour la majorité de notre jeunesse. C’est une réalité qui ne semble pas (ou peu) titiller les questionnements politiques. La technologie, c’est d’une certaine manière, la mort de la politique, puisque plus que nos vies « personnelles », c’est elle aussi qui gère la cité. Une machine et ses calculs seront toujours plus efficaces qu’une décision venant d’hommes se concertant. Pourtant, Internet, mais aussi toute la déambulation des gadgets technologiques (portables, smartphones, etc.) sont la résultante d’une pensée politique rationnelle qui ne tombe pas du ciel mais de la tête des technocrates dirigeants. L’homme est séparé, on l’a dégoûté de la vie commune. Il souffre de solitude et se gave de télé, d’ordinateur, de portable, bref, de prothèses physiques et psychologiques. Il croit recréer sur l’écran, de manière virtuelle, les relations sociales qu’on lui a supprimé de la vie réelle. De la même sorte que l’on se ruine au supermarché afin de remplir nos vides existentiels, on passe au stade supérieur de servitude volontaire en remplissant notre quotidien avec internet. Nous défendons la convivialité, la discussion réelle et le savoir humain intériorisé, plutôt que l’abondance d’information imposée, la « tchatche » sur les réseaux dits « sociaux » et les niaiseries des « j’aime » / «j’aime pas » en guise de discussion. On nous dira que la valeur d’internet dépend de l’usage qu’on en fait. Cette remarque a des limites, tout le développement d’internet pousse dans la direction de ce qu’on critique. Nous prenons acte de l’utilisation globale d’internet, et nous en faisons la critique. Une arme à feu, comme outil, peut être utilisée par une communauté autogérée ardéchoise pour chasser le gibier et vivre en harmonie avec la nature, et nous ferons pour autant la critique radicale de l’objet « arme à feu ». Nous critiquons la technologie parce qu’on ne peut pas toujours séparer l’invention de l’homme de ce qu’il en fait. D’ailleurs, une invention se réalise seulement dans ce qu’on en fait. Nous critiquons Internet pour ce qu’on en fait et pour ce qu’il représente : la société de l’immédiateté, de la consommation de tout, de la quantité, de la quantification, de l’homme augmenté, fliqué, déchiré, connecté.

Vos albums ne sont pas destinés à être vendus de façon numérique et/ou sur internet. Pourquoi ?
Sur internet, la musique se consomme instantanément, souvent sur des enceintes de mauvaise qualité, entre deux pubs. Perdu au milieu d’une énorme quantité d’autres musiques disponibles, l’artiste se clique plus qu’il s’écoute. Nous résistons comme on peut, par un symbole de rejet de l’emprise numérique sur notre art.

Vous mettez en avant le CD en tant que « véritable produit fini », le vôtre, c’est vrai, est particulièrement réussi. Mais peut-on encore résister à cette forme de progrès ?
Merci pour le compliment ! C’est Gabriel qui l’a conçu ainsi. Il a travaillé avec Anna Viricel, qui a conçu une illustration par chanson. Tous les textes sont présents dans le livret. Quitte à défendre l’objet disque, Gab’ et Anna ont essayé d’en faire un beau ! Le disque d’un groupe est un ensemble. Cet ensemble est décomposé si on abandonne son support physique. Nous pouvons résister à tout ce que l’humain met en place. Or il est important de rappeler que nos sociétés de A à Z sont construites par l’homme, y compris cette forme de progrès (technique et économique). Tu as raison de dire « cette forme ». Le progrès a actuellement une façon d’être. Le « progrès » est un concept qui n’est pas imposé aux hommes par une forme de divinité. L’homme n’a pas une « nature » qui le pousserait à toujours vouloir plus. Ça, c’est l’imaginaire capitaliste qui le dit. L’humanité a déjà eu d’autres imaginaires, et elle peut en imaginer encore d’autres, différentes du « toujours plus »

Une carrière à la Dub Inc, dans sa dimension indépendante (production et diffusion) et « hors système », ça vous dirait ?
Même si nous sommes beaucoup moins connus qu’eux, nous avons une sacrée dimension indépendante… Et oui, ça nous dit de continuer ! Je profite de la question pour dire que Dub Inc ont décidé de nous faire jouer en première partie sur deux dates. Ce choix de leur part est le fruit d’une solidarité quant à nos chemins « communs » d’indépendance. Merci 1 000 fois à eux pour ce coup de pouce.

Vous présenterez ce nouvel album au Fil le 16 mai prochain. Un rendez-vous Stéphanois important ?
Ce concert est très important pour nous, nous l’attendons avec une telle impatience… Le concert sera gratuit et placé sous le signe de la convivialité. Saint-Étienne, c’est chez nous, ça fait toujours peur de jouer chez soi !

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas écouté un album aussi « inspirant » et « surprenant ». Quels sont vos « espoirs » avec cet excellent (je me répète) album ?
Il ne faut pas avoir trop d’espoir et vivre ce qui nous arrive avec le sourire. Nous sommes pour le moment contents de cet album, et bien sûr, nous aimerions que les gens l’aiment aussi. Mais nous ne pouvons que l’espérer, nous serions trop déçus du contraire… « L’espoir est une paire de menotte qui nous attache à l’avenir biaisé, mais c’est maintenant et à chaque note que se dessine le désir rivé… » Nous continuons, c’est le plus important. Nous continuerons.