Le créateur de la série télé devenue culte, «Kaamelott» (sur M6), est de retour sur scène avec un spectacle intitulé «Que ma joie demeure» qui permet à celui-ci de faire preuve d’un étonnant talent pluridisciplinaire. Rencontre avec Alexandre Astier :

Vous avez suivi le Conservatoire National de Musique. Ce spectacle est-il un moyen pour vous d’assumer cet amour de la musique ?
Oui, tout à fait. Cela faisait un moment que je voulais monter un nouveau spectacle sur scène. L’écriture et la réalisation de « Kaamelott » ne m’ont pas permis de m’y consacrer pleinement. Je savais pourtant que ce moment viendrait puisque j’en avais très envie. Ecrire et jouer un spectacle n’est pas une chose habituelle pour moi, du coup, je voulais mettre dans ce spectacle la plupart de mes envies, et jouer de la musique sur scène faisait partie de ces envies-là, oui…

Pour le spectacle, je crois que vous avez suivi une formation spécifique ?
En effet, je ne savais pas jouer de la viole de gambe et j’ai donc appris à en jouer spécialement pour le spectacle. Pour autant, je ne prétends surtout pas maîtriser cet instrument. J’ai appris les bases uniquement.
Est-ce un instrument compliqué à maîtriser ?
C’est un instrument complexe car il possède pas mal de cordes qui sont très rapprochées. Je suis contrebassiste de formation, ce qui suppose que je savais déjà utiliser un instrument à cordes et à archet. Je ne démarrais pas de rien. La viole de gambe est un instrument, curieusement, très instinctif. J’ai beaucoup apprécié cet apprentissage et je crois que je continuerai à en jouer bien après le spectacle d’ailleurs.

« Que ma joie demeure » s’apparente à une leçon de musique assez pointue tout en étant accessible à tous (la preuve…) ?
Je l’espère et c’était mon intention première. Parfois, c’est vrai, je noie volontairement le public d’informations techniques, c’était le jeu. L’initiation musicale est le prétexte du spectacle uniquement.

Je voulais parler de ce passage sur le « contrepoint »…
Le contrepoint est forme de composition assez ésotérique qui rejoint des choses très physiques, tout le monde est d’accord à ce sujet. Le contrepoint est, en quelque sorte, la marque de fabrique de Jean Sébastien Bach : cette technique sera quelque peu abandonnée après sa mort au profit d’autres techniques. Au travers de cette approche théorique du contrepoint, je voulais également aller vers des propositions poétiques.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à Bach ?
En tant que musicien et mélomane, je voue une affection toute particulière à Bach. Bien sûr, j’aime aussi d’autres compositeurs, mais je place Bach à un niveau très très élevé dans la hiérarchie, si elle existe, de la musique. J’ai une quasi fascination pour lui. Au fond, j’ai toujours su que je raconterai quelque chose sur lui. Je lui voue une passion depuis tout petit.

Êtes-vous autant fasciné par son œuvre que par sa vie ?
Surtout par sa musique. Concernant son existence, j’avoue que j’ai dû me documenter pas mal à ce sujet. Peu de choses transparaissent à son sujet.

Il a connu pas mal de drames en tant que père…
Il a perdu la moitié de ses enfants mais c’était assez fréquent à l’époque. Il était par ailleurs un luthérien convaincu.

Tout ce que l’on voit dans le spectacle se nourrit-il de faits historiques ?
Globalement, oui. A l’époque, la mortalité infantile est très fréquente…Il n’échappe pas à la règle. Il a eu en tout 20 enfants sur deux mariages ! La plupart des enfants qu’il a perdu l’ont été en bas âges. Sa foi religieuse revient souvent à son sujet…

On sent chez lui une forte volonté de transmission. Un thème récurent chez vous, non ?
C’est évident. Cette notion de transmission m’a toujours intéressé à vrai dire : j’y ai consacré un bouquin avec François Rollin. Sans trop savoir pourquoi,  je suis attiré par cette notion de transmission,. D’ailleurs, Arthur dans « Kaamelott » s’emploie lui aussi à transmettre son savoir. Arthur est censé avoir été à Rome dans un environnement moderne, pour l‘époque j’entends. Du coup, il essaie de retour chez lui de transmettre cette forme de modernité dans un environnement plutôt barbare. C’est un peu tout le sujet de la série…

Vous a-t-on beaucoup transmis, vos parents sont comédiens… ?
Le peu de chose que je sais faire aujourd’hui, je le tiens beaucoup de ma famille, je crois.

Vous faites suivre avec vos enfants ?
Concernant la musique notamment, ma mère ne m’a pas transmis grand-chose, elle m’a seulement obligé à m’inscrire au conservatoire… C’était très sévère puisque j’y suis resté toute mon enfance. Ça, je n’arrive pas à le faire. Je n’arrive pas à forcer mes enfants à faire telle ou telle chose. Entre nous, je n’ai pas que des très bons souvenirs du conservatoire… Je crois qu’on pourrait avoir des manières d’apprentissage plus humaines ou plus modernes. J’essaie malgré tout de leur transmettre cette passion pour l’art, la musique, le théâtre… Mes enfants ont tous joué dans « Kaamelott », une façon de témoigner de cette transmission. Après, je ne crois pas non plus qu’il soit mal pour les enfants de baigner dans le monde de leurs parents. Un fils de boulanger peut être intéressé par le travail de son père, pourquoi pas un comédien. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise transmission, c’est juste important de transmettre.

Dans le spectacle, votre personnage, Bach, s’essaie à la critique musicale européenne. Vous égratignez la musique française et italienne. C’est de vous ou de Bach ?
Ni l’un ni l’autre… Personnellement, je n’ai aucun mépris pour la musique française ou italienne et musicalement, Bach avait une grande notion et un grand intérêt pour tout ce qui se faisait à son époque. Ceci dit, je suis persuadé que les contemporains de Bach ne lui arrivent pas à la cheville. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne trouvait pas de bonne musique ici ou là. Bach était une encyclopédie à ce sujet. Non, ce passage est complètement inventé, je me suis fait simplement plaisir…

Vos souvenirs du conservatoire ont-ils inspiré les cours que vous prêtez à Bach ?
En partie, oui. J’ai malheureusement connu une époque où l’apprentissage au conservatoire était encore assez rigide. J’ai rencontré certains professeurs à l’ancienne, qui ne s’attachent pas réellement à savoir si vous comprenez quelque chose ou pas à ce que vous devez faire. Après, il est vrai aussi que dans un premier temps, l’apprentissage de la musique, via le solfège, reste plutôt abstrait. On apprend sans trop savoir à quoi tout ça va servir…

C’est qui est le cas aussi à l’école…
C’est vrai. Mais le solfège, c’est quelque chose quand même. Ce n’est que plus tard que vous commencez à comprendre le pourquoi du comment. Les notions musicales théoriques sont complexes et volontairement imbuvables au début de la pièce…, c’est effectivement lié à mon expérience au conservatoire.

A la fin du spectacle, Bach comprend qu’il est triste. C’est terrible, non ?
La tristesse est aussi une forme de maladie :s certains prennent des cachets pour lutter contre. J’imagine, je m’étais fait cette réflexion (et je ne suis le seul à le penser) que la création artistique est meilleure lorsqu’elle est faite sous l’influence d’émotions désespérées.

C’est surtout vrai pour la création artistique occidentale…
C’est vrai, par exemple, que la musique indienne est plutôt joyeuse… Mais si vous prenez le répertoire de Mozart, il atteint des sommets avec le Requiem… Lorsqu’il invoque les choses les plus bouleversantes.

Vous avez déclaré vous être inspiré d’une technique d’écriture élaborée par un certain Vogler, qu’en est-il ?
Pour ce spectacle, je n’ai pas utilisé la technique Vogler (ni d’autres d’ailleurs) dans sa forme basique. Cela fait des années que je me suis intéressé à toutes ces techniques d’écritures, provenant essentiellement du cinéma ou de la télé. Du coup, avec l’expérience, j’ai pu construire ma propre technique d’écriture que j’ai appliquée à ce spectacle. Dans le spectacle, on retrouve des notions de structures précises mais, en plus, je considère que le théâtre est la forme d’art vivant qui accepte la plus grande liberté d’écriture. Et de structure. Tu peux tout faire au théâtre, bien plus qu’au cinéma. Ce spectacle possède une structure décomposée. Notamment au niveau des lieux et de la concordance des époques. La structure est assez libre. Pour revenir aux techniques dont vous parlez, je ne les ai jamais appliquées au pied de la lettre.

Vous parlez de technique d’écriture alors que vous avez affirmé avoir terminé l’écriture du spectacle 4 heures seulement avant la première ?
C’est vrai. Mais la structure était bien présente ! Dès le départ même. Les scènes avaient des titres dès le début des répétitions, en revanche, le cœur du texte a été terminé parfois très tard. Notamment, la « prière à dieu » que mes techniciens ont découvert en même temps que le public ! Ils savaient où j’allais me placer mais ils ignoraient tout du texte.

Je crois savoir que c’est même une habitude chez vous ?
Un peu, oui.
Est-ce une forme de masochisme ?
Non. Je crois que j’ai une peur panique de montrer les choses avant de les faire concrètement. J’imagine que si je montre les choses avant de les jouer, elles perdent de leur puissance. J’avoue que j’ai un problème avec la répétition en général. Pour mon film, « David et Madame Hansen », j’ai eu la chance de tomber sur une actrice, Isabelle Adjani, qui fonctionnait comme moi. Elle n’aime pas répéter. On travaille beaucoup, bien sûr, mais on ne répète pas 50 fois avant de tourner. Elle, comme moi, savons qu’il se passe souvent des choses dès la première prise au cinéma. Il faut donc absolument la tourner ! Des choses qu’on ne retrouvera pas plus tard. Je veux conserver la magie du texte et de la découverte. Je veux donc garder cette peur, au grand dam de mon équipe. C’est pourquoi je travaille souvent avec les mêmes personnes ! Je les en remercie d’ailleurs.

Au moment de la sortie de ce film, on a senti en vous une pointe d’amertume….
Disons que le film est sorti avec un nombre limité de copies, cela, indépendamment de ma volonté. Ça m’a embêté. J’ai reçu beaucoup de messages de personnes souhaitant aller le voir : mais celui-ci n’était pas à l’affiche dans les cinémas de leur ville. Ça m’a frustré d’autant que je ne pouvais strictement rien n’y faire. Le DVD sort en janvier, je serais heureux si le public le découvre plus amplement dès janvier prochain.

Dans certains de vos comportements sur scène, avec le public ou des personnages fictifs, j’ai l’impression qu’il y a une certaine similitude avec le jeu de Dieudonné. Est-ce une insulte pour vous ?
Absolument pas. pour moi, Dieudonné est un génie de la scène et de l’écriture scénique. J’adhère pas forcément à son discours politique, car au fond, je ne suis pas un artiste qui s’engage de cette façon. Je m’engage autrement : d’un point de vue plus philosophique. Si l’on regarde bien « Kaamelott », on comprendra qu’Arthur propose à son peuple une vision plus progressiste de la société de l’époque, notamment au regard de la loi et de la justice. Ça a l’air tout bête mais le fait de présenter en héros d’époque progressiste dans une émission quotidienne, c’est la forme de mon engagement. Je soutiens des causes mais pas des causes politiques. Le discours politique de Dieudonné ne m’intéresse donc pas. Ceci dit, ses spectacles sont excellents. Il est très bon sur scène. On ne peut pas lui enlever ce talent. Et il n’y aura jamais une seule bonne raison pour censurer qui que ce soit. On ne peut pas empêcher quelqu’un de faire son métier, de jouer. C’est pas bien. J’aime pas cette idée de « black liste » et de lynchage collectif. On peut ne pas être d’accord avec lui, mais on ne l’empêche pas de jouer.

Vous préparez un film ou une série sur une famille mafieuse…
Ça s’appellera « Vinzia ». Au départ, ce n’est pas une famille mafieuse mais cela évoque la renaissance de la pègre italienne en France.

Votre mère est d’origine italienne, je crois…
Ma mère est italo-espagnole mais toute la famille de ma mère est des Nardone, un nom très courant à Lyon. On connaît le glacier, Nardone.

Ou l’homme politique, je crois…
Oui. Curieusement, une partie de l’immigration italienne lyonnaise provient de la même région de Frosinone, dans le centre de l’Italie…

Une région que je connais bien aussi, pour cause !
Et bien voilà ! Entre Frosinone et Monte Cassino, vous avez deux ou trois villages qui se courent après et toute une partie de la population lyonnaise est originaire de ce coin perdu ! On vient tous de là-bas ! Pourtant, j’y suis jamais allé… Mais cela viendra.

Vous reste-t-il quelque chose de cet héritage italien ?
Énormément. Et c’est ce dont je veux parler dans la série. Il me reste cette notion de solidarité avec les petits, en général. Tous ceux qui viennent de ce coin d’Italie ont débarqué dans notre région dans une misère innommable.

Ce que certains ont oublié d’ailleurs !
C’est vrai aussi. Dans « Kaamelott », le Roi est toujours tourné vers la dignité des faibles, vous voyez. Ces gens-là sont tous en quête de dignité. Et ça me parle. Il me reste aussi le fait d’être fidèle aux Italiens, quoiqu’ils fassent, c’est comme ça ! Ce n’est pas très objectif, je sais, mais j’aime ces gens-là. Je suis de leur côté. Et ce ne sera jamais la loi qui passera avant.. Je vous rassure, je n’ai rien à me reprocher mais sait-on jamais… S’il fallait contourner la loi pour aider quelqu’un qui le mérite, je le ferais sans hésiter.

Camus disait, et on lui a beaucoup reproché, « entre la République et ma mère, je choisis ma mère »…
C’est tout à fait ça. Je partage ce point de vue. Et puis, il y a aussi que je n’aime pas la délation. Je ne supporte pas la délation… En aucun cas. Je crois que ça vient aussi de cet héritage.

Avez-vous aussi, comme une forme de cinéma Italien des années 70, cette capacité de rire de tout et surtout de la misère ?
C’est exactement la forme de cinéma que j’aimerai réaliser ! « Le pigeon » ou « Le fanfaron »… Je rêverais de faire des films de ce niveau avec cette puissance et cette capacité d’humour. Une manière de dire que la misère peut être un quotidien mais que dans cette misère, on peut trouver de l’humour et parfois même du bonheur. Pour arriver à cela, il faut cependant avoir connu le monde ouvrier ou une certaine modestie dans la vie quotidienne… On peut très bien être pauvre et avoir des vies heureuses. Les gens qui ont compris ça sont riches d’autres choses.

Vous n’êtes que rarement venu jouer à Saint-Etienne ?
Tiens, c’est vrai, j’ai dû venir une fois avec une troupe lyonnaise, « Sortie de route »… Cela fait assez longtemps.

Passer le réveillon du 31 décembre à Saint-Etienne, un comble pour un lyonnais, non ?
Pour être honnête, je ne resterai pas avec le spectacle, on commence à 19 h, je filerai directement en Ardèche, du côté de Privas, mon second fief. Et je pourrais peut-être y arriver avant minuit m’a-t-on dit…

Vous n’êtes pas comme Benjamin Biolay… ?
Je crois savoir qu’il est fan de foot, lui… Ce qui n’est absolument pas mon cas. Je n’entends rien à cette rivalité sportive. Je ne m’y intéresse pas. Après, je trouve ça plutôt rigolo… Après, certains aiment entretenir cette forme de rivalité… Je ne prends pas part à tout cela, je vous rassure… Pour moi, Saint-Etienne, ce sont surtout mes voisins.